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1937, Espagne, Nazisme, 26 avril, massacre Bruno Teissier 1937, Espagne, Nazisme, 26 avril, massacre Bruno Teissier

26 avril : la mémoire de Guernica

Guernica, petite ville du Pays basque a été victime d’un raid de terreur destiné à anéantir une partie de la population et d’en terroriser l’autre. Une stratégie adoptée par Vladimir Poutine en Tchétchénie, en Syrie et aujourd’hui en Ukraine. Et que dire de Gaza que l’armée israélienne s’applique à rayer complètement de la carte au prix de dizaines de milliers de morts ?

 

Volodimir Zelenski n’avait pas manqué de le faire remarquer quand il s’était adressé aux députés espagnols : ce que la petite ville de Guernica a vécu en 1937, de nombreuses localités d’Ukraine sont en train de le vivre tant l’acharnement des forces russe à tout détruire pour soumettre l’ennemi parait sans limite. L’armée russe a aussi à son palmarès la destruction presque totale de Grozny et d’une bonne partie d’Alep… Dans plusieurs décennies toutes ces villes commémoreront leur anéantissement comme le fait Guernica chaque 26 avril. Et que dire de Gaza que l’armée israélienne s’applique à rayer complètement de la carte au prix de dizaines de milliers de morts ?

Le 8 décembre 2023, la ville martyre du Pays basque espagnole s’est transformée en mosaïque humaine géante aux couleurs du drapeau de la Palestine. Un symbole fort, 86 ans après les bombardements du régime nazi sur la ville de Guernica. Les participants n’avaient qu’un seul mot d’ordre : « Le monde et l’Histoire ne doivent pas accepter un nouveau Guernica ». Ils n’ont, hélas, pas été entendus.

Cet après-midi, 15h45 toutes les cloches de la petite ville de Guernica vont sonner et à 16h15 précise, une sirène retentira en souvenir du terrible bombardement de 1937 qui fit 1650 morts (selon le gouvernement basque) sur les 5000 habitants que comptait la petite ville de Biscaye (Pays basque espagnol).

Pour la Commémoration du bombardement de Guernica (Conmemoracion del bombardeo de guernica) les autorités procèdent à un dépôt de gerbes au cimetière de Zallo pour rendre hommage aux morts et ce soir, à 21h30, une marche silencieuse va parcourir comme chaque année les rues de la ville. En 2022, pour le 85e anniversaire, le président du gouvernement, Pedro Sánchez, avait participé aux commémorations, lui aussi avait cité Vladimir Poutine sans son message.

Ce 26 avril était jour de marché, en deux heures quelque 22 tonnes de bombes ont été lâchées sur la ville par l’aviation allemande venue tester de nouveaux appareils et surtout une méthode de guerre inédite : un raid de terreur destiné à anéantir une partie de la population et d’en terroriser l’autre. Le Pays basque était resté fidèle à la république (voir 14 avril). Sa soumission était une aide appréciable, réclamée par le général Franco en train d’imposer sa dictature à l’ensemble de l’Espagne. Par miracle, l’arbre de Guernica, symbole de l’autonomie du Pays basque, est sorti indemne des bombardements, mais le pays n’allait pas tarder à être soumis par les franquistes. Dès le début du XVIIIe siècle, Guernica était devenue un véritable emblème de la démocratie et de la liberté, surtout après la fin de la Première Guerre carliste (1833-1840). C’est aussi cela que Franco avait demandé à Hitler d’abattre.

Un Musée de la paix a été inauguré en 2003 et l’on décerne, aujourd’hui, un Prix Guernica pour la paix et la réconciliation. En 2020, un hommage particulier avait été fait à José de Laubaria, le maire de la ville à l’époque et à George L. Steer, journaliste sud-africain arrivé à Guernica quelques heures après le bombardement et qui câbla dans la nuit même son reportage de la ville martyre. C’est son article publié le 28 avril 1937, à la une du Times et du New York Times, qui a frappé l'opinion publique mondiale en révélant l'implication secrète de l’Allemagne nazie dans la destruction de la ville. En 2022, Guernica a été reconnu comme un “lieu de mémoire” par le gouvernement espagnol.

Les Allemands, responsables des bombardements, rendent eux aussi hommage à la ville martyre, chaque 26 avril à 11h, Guernica Platz à Berlin.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 24 avril 2024

 
Mural reproduisant le célèbre tableau de Picasso, commandé par la république espagnole pour l’exposition de 1937 à Paris.

Mural reproduisant le célèbre tableau de Picasso, commandé par la république espagnole pour l’exposition de 1937 à Paris.

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31 mai : la Journée du souvenir des victimes de la répression politique au Kazakhstan

Comme l’Ukraine, le Kazakhstan commémore la grande famine des années 1932-33 (Acharchylyk ) et la répression de masse de l’époque soviétique. La décolonisation de l’empire russe est en marche, déjà dans les têtes. La libération de la mémoire est une première étape.

 

Les exactions commises dans l’empire colonial russe, en particulier à l’époque soviétique, resurgissent des mémoires. Au Kazakhstan, les premières lois mémorielles ont été adoptées peu après l’indépendance. En 1993, les victimes des répressions du stalinisme étaient réhabilitées. En 1997, Noursoultan Nazarbaïev instituait le 31 mai comme la Journée en souvenir des victimes de la répression politique (Қазақстандағы саяси қуғын-сүргін құрбандарын еске алу күні). En 2020,  le nouveau président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev a mis en place une Commission d’État pour la réhabilitation des victimes de la répression politique qui fait re-émerger plusieurs décennies de crimes et de souffrance. Depuis quelques années, un nouveau terme est popularisé dans le discours mémoriel : Acharchylyk (Ашаршылық). C’est l’équivalent kazakh de l’Holodomor des Ukrainiens. La terrible famine a coûté la vie à un million et demi de Kazakhs entre 1932 et 1934 (2 millions de morts si ont y ajoute les autres nationalités vivant au Kazakhstan), soit 40% de la population du pays.

Nomades, les Kazakhs ont été privés de leur bétail, confisqué par les gouverneurs soviétiques. Afin de remplir les quotas pour le blé, les Kazakhs furent forcés de troquer leurs bêtes contre des quantités dérisoires de céréales, ce qui les condamnait à mort car il ne leur restait plus rien. Partout, le bétail mourait à cause des conditions inadaptées, notamment le manque de fourrage dû à la grande sécheresse de 1932-33 associée aux grands froids : en deux ans, la République a perdu plus de 90 % de son cheptel (sur 45 millions de têtes de bétail en 1929, il n’en restait que 3,5 millions en 1935). Beaucoup de Kazakhs n’ont eu la vie sauve qu’en se réfugiant dans les pays voisins. Certains se sont établis au Xinjiang, une région contrôlée par la Chine. Leurs descendants croupissent aujourd’hui dans des camps de concentration aux côtés des Ouïghours.

La date du 31 août fait aussi référence à la répression politique de masse qui a atteint son paroxysme en 1937.  Au cours du XXe siècle Moscou a fait de ses colonies d’Asie centrale des lieux de relégation pour y déporter les peuples qui entravaient l’expansion russe, c’est le cas des Tatars de Crimée. Le territoire du Kazakhstan s'est ainsi transformé en une grande prison avec l'ouverture des plus grands camps de travail correctif, tels que Alzhir (camp d'Akmola pour les femmes des traîtres à la patrie), Steplag et Karlag. Plus de 5 millions de personnes ont été envoyées dans ces camps au cours des années de répression. Selon certains rapports, le nombre total de prisonniers dépasse de loin ces données. Ils étaient d’origines très diverses : Kazakhs, Polonais, Russes, Allemands, Coréens, Ouïghours, Ouzbeks… 25 000 ont été condamnées à la peine capitale, mais la plupart des victimes sont mortes des mauvaises conditions de vie.

Le Kazakhstan s’émancipe peu à peu en dépit d’une présence russe toujours pesante. On notera que le président Tokaïev, un dictateur sauvé l’an dernier d’une insurrection par une intervention militaire russe, ne s’est pas laissé entraîner par Poutine dans la désastreuse guerre d’Ukraine. La décolonisation, très tardive, de l’empire russe est en marche dans toute l’Asie centrale. La libération de la mémoire est une première étape.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 30 mai 2022

 
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1937, Chine, 13 décembre, massacre Bruno Teissier 1937, Chine, 13 décembre, massacre Bruno Teissier

13 décembre : le massacre de Nankin, épisode tragique de la guerre sino-japonaise

Une des pires humiliations pour la Chine que le massacre des habitants de Nankin opéré par l’armée d’occupation japonaise, lors de la prise de la ville, le 13 décembre 1937.

 

La Chine commémore un des grands massacres du XXe siècle. Selon les estimations locales, l’armée d’occupation japonaise aurait massacré quelque 300 000 habitants de la ville de Nankin (aujourd’hui appelée Nanjing) lors de la prise de la ville, le 13 décembre 1937 et dans les jours qui ont suivi. Nankin était alors la capitale de la république de Chine. Même si le bilan a sans doute été un peu surestimé par les Chinois, cet épisode a été un des plus tragiques et des plus humiliants de la guerre sino-japonaise.

Si le massacre de Nankin a profondément marqué la Chine, sa commémoration officielle est très récente, tant l’humiliation a été profonde. C’est en 1995, seulement qu’a été érigé un mur commémoratif sur lequel sont inscrits les noms des 300 000 victimes. Ce n’est qu’en 2014 que date, le 13 décembre, a été désignée comme le Jour commémoratif national pour les victimes du massacre de Nanjing (南京大屠杀遇难者国家纪念日) et érigée en deuil national. Depuis Pékin en fait un élément de propagande contre le Japon.

Depuis chaque année, exactement 10 h 01, les sirènes commencent à retentir et les automobilistes à travers la ville arrêtent leur voiture. Les piétons s’immobilisent eux aussi pendant une minute de silence en souvenir des victimes. Un cérémonial et un défilé militaires sont organisés au mémorial de la ville. Après le discours, 84 adolescents habiles de blanc lisent une déclaration de paix. Six représentants citoyens font sonner la cloche de la paix. Au total, 3 000 colombes blanches sont lâchées pour survoler la place commémorative. Malgré le froid hivernal, des milliers de personnes vêtues de vêtements sombres assistent à la cérémonie commémorative nationale du massacre avec des fleurs blanches épinglées sur la poitrine et défilent pour transmettre leurs condoléances aux derniers survivants encre en vie. Ainsi se déroule ce 84e anniversaire.

Chaque année, le gouvernement japonais est prié de s'excuser auprès des victimes du massacre de Nanjing et de leurs proches survivants et de verser une indemnisation appropriée. Ce qu’il n’a jamais fait. L'un des principaux auteurs du massacre de Nankin, le prince Yasuhiko Asaka, qui commandait les forces japonaises lors de l'assaut final de Nanjing, n'a jamais été inculpé de crimes de guerre.

Dans la diaspora chinoise, des cérémonies prennent un peu plus d’ampleur chaque année. En 2018, la ville de Toronto a inauguré un mur commémoratif du massacre de Nanjing et, depuis, organise une cérémonie.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 12 décembre 2021

 
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