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1937, Lettonie, répression policière Bruno Teissier 1937, Lettonie, répression policière Bruno Teissier

7 décembre : la Lettonie se souvient des purges staliniennes

Chaque année, le premier dimanche de décembre, la Lettonie commémore la “Journée du souvenir des victimes du génocide communiste totalitaire perpétré contre le peuple letton” en mémoire des purges des années 1937-1938 en URSS.

 

Chaque année, le premier dimanche de décembre, la Lettonie commémore la Journée du souvenir des victimes du génocide communiste totalitaire perpétré contre le peuple letton (Totalitārā komunistiskā režīma pret Latvijas tautu pastrādātā genocīda upuru piemiņas diena), en hommage aux personnes décédées lors des répressions staliniennes des années 1937-1938. Durant les « Grandes Purges » de Staline, une répression féroce fut menée contre toutes les minorités nationales. Parmi les représentants des minorités réprimées figuraient aussi bien les intellectuels que les membres du Parti communiste ou de l’Armée rouge. Des écoles, des institutions culturelles et des maisons d'édition lettones furent liquidées. La Lettonie subit une vague de russification. On estime qu’entre 20 000 et 70 000 Lettons vivant en Russie ont été tués. Le même nettoyage ethnique a eu lieu en Lettonie même : au moins 22 000 personnes y ont été arrêtées et plus de 70 % d’entre elles ont été fusillées.

Cette commémoration a été lancée en mémoire de l'ordre envoyé le 23 novembre 1937 par le commissaire du peuple aux Affaires intérieures de l'URSS, Nikolaï Iejov, à tous les départements républicains, régionaux et de district du NKVD entrainant une vague de répression. L’idée de raviver le souvenir des victimes de l'« Opération Lettonie » du NKVD en Lettonie au début du mois de décembre a été lancée par la Société de Lettonie orientale lors de la conférence qu’elle organisait le 7 décembre 1997, pour le soixantième anniversaire des « premières, des plus terribles et des plus sanglantes répressions jamais perpétrées contre le peuple letton dans le monde ». Cette société a demandé à la Saeima (le parlement) de déclarer le 3 décembre de chaque année comme jour de deuil « en mémoire des victimes du génocide ». Cette journée de commémoration a finalement été placée le premier dimanche de décembre et demeure relativement discrète.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 7 décembre 2025

 
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1937, Espagne, Nazisme, 26 avril, massacre Bruno Teissier 1937, Espagne, Nazisme, 26 avril, massacre Bruno Teissier

26 avril : la mémoire de Guernica

Guernica, petite ville du Pays basque a été victime d’un raid de terreur destiné à anéantir une partie de la population et d’en terroriser l’autre. Une stratégie adoptée par Vladimir Poutine en Tchétchénie, en Syrie et aujourd’hui en Ukraine. Et que dire de Gaza que l’armée israélienne s’applique à rayer complètement de la carte au prix de dizaines de milliers de morts ?

 

Volodimir Zelenski n’avait pas manqué de le faire remarquer quand il s’était adressé aux députés espagnols : ce que la petite ville de Guernica a vécu en 1937, de nombreuses localités d’Ukraine sont en train de le vivre tant l’acharnement des forces russe à tout détruire pour soumettre l’ennemi parait sans limite. L’armée russe a aussi à son palmarès la destruction presque totale de Grozny et d’une bonne partie d’Alep… Dans plusieurs décennies toutes ces villes commémoreront leur anéantissement comme le fait Guernica chaque 26 avril. Et que dire de Gaza que l’armée israélienne s’applique à rayer complètement de la carte au prix de dizaines de milliers de morts ?

Le 8 décembre 2023, la ville martyre du Pays basque espagnole s’est transformée en mosaïque humaine géante aux couleurs du drapeau de la Palestine. Un symbole fort, 86 ans après les bombardements du régime nazi sur la ville de Guernica. Les participants n’avaient qu’un seul mot d’ordre : « Le monde et l’Histoire ne doivent pas accepter un nouveau Guernica ». Ils n’ont, hélas, pas été entendus.

Cet après-midi, 15h45 toutes les cloches de la petite ville de Guernica vont sonner et à 16h15 précise, une sirène retentira en souvenir du terrible bombardement de 1937 qui fit 1650 morts (selon le gouvernement basque) sur les 5000 habitants que comptait la petite ville de Biscaye (Pays basque espagnol).

Pour la Commémoration du bombardement de Guernica (Conmemoracion del bombardeo de guernica) les autorités procèdent à un dépôt de gerbes au cimetière de Zallo pour rendre hommage aux morts et ce soir, à 21h30, une marche silencieuse va parcourir comme chaque année les rues de la ville. En 2022, pour le 85e anniversaire, le président du gouvernement, Pedro Sánchez, avait participé aux commémorations, lui aussi avait cité Vladimir Poutine sans son message.

Ce 26 avril était jour de marché, en deux heures quelque 22 tonnes de bombes ont été lâchées sur la ville par l’aviation allemande venue tester de nouveaux appareils et surtout une méthode de guerre inédite : un raid de terreur destiné à anéantir une partie de la population et d’en terroriser l’autre. Le Pays basque était resté fidèle à la république (voir 14 avril). Sa soumission était une aide appréciable, réclamée par le général Franco en train d’imposer sa dictature à l’ensemble de l’Espagne. Par miracle, l’arbre de Guernica, symbole de l’autonomie du Pays basque, est sorti indemne des bombardements, mais le pays n’allait pas tarder à être soumis par les franquistes. Dès le début du XVIIIe siècle, Guernica était devenue un véritable emblème de la démocratie et de la liberté, surtout après la fin de la Première Guerre carliste (1833-1840). C’est aussi cela que Franco avait demandé à Hitler d’abattre.

Un Musée de la paix a été inauguré en 2003 et l’on décerne, aujourd’hui, un Prix Guernica pour la paix et la réconciliation. En 2020, un hommage particulier avait été fait à José de Laubaria, le maire de la ville à l’époque et à George L. Steer, journaliste sud-africain arrivé à Guernica quelques heures après le bombardement et qui câbla dans la nuit même son reportage de la ville martyre. C’est son article publié le 28 avril 1937, à la une du Times et du New York Times, qui a frappé l'opinion publique mondiale en révélant l'implication secrète de l’Allemagne nazie dans la destruction de la ville. En 2022, Guernica a été reconnu comme un “lieu de mémoire” par le gouvernement espagnol.

Les Allemands, responsables des bombardements, rendent eux aussi hommage à la ville martyre, chaque 26 avril à 11h, Guernica Platz à Berlin.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 24 avril 2024

 
Mural reproduisant le célèbre tableau de Picasso, commandé par la république espagnole pour l’exposition de 1937 à Paris.

Mural reproduisant le célèbre tableau de Picasso, commandé par la république espagnole pour l’exposition de 1937 à Paris.

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1937, URSS, Ukraine, Russie, massacre, 15 décembre, Grèce, déportations Bruno Teissier 1937, URSS, Ukraine, Russie, massacre, 15 décembre, Grèce, déportations Bruno Teissier

15 décembre : la diaspora grecque commémore la purge dont elle a été victime en URSS

Le 11 décembre 1937, le gouvernement soviétique ordonnait une vaste purge parmi la communauté grecque. Ce fut l’une des plus sanglante de l’époque de la Grande Terreur en URSS : plus de 90% des personnes arrêtées ont été exécutées. D’autres ensuite ont été déportés en masse.

 

Le 15 décembre 1937, le commissaire du peuple aux Affaires intérieures de l’URSS, Nikolai Yezhov a signé le décret n° 50215 déclenchant une vague d’arrestation visant la communauté grecque. À l’époque plus de 300 000 Grecs vivaient en URSS. C’est la mémoire de cette purge sanglante qui est commémorée dans la diaspora grecque plus qu’en Grèce elle-même : Ελληνική Επιχείρηση του NKVD 15 Δεκεμβρίου.

Le 20 juillet 1937, une première purge opérée par le NKVD avait visé les Allemands vivant en URSS, puis ce fut les Polonais, le 9 août, puis les Japonais, les Coréens, les Estoniens et Finlandais, les Iraniens et bien d’autres… Mais la plus sanglante de toutes fut sans doute l’« Opération hellénique », selon le jargon stalinien de la période de la Grande Terreur : plus de 90% des quelque 22 000 Grecs emprisonnés du 15 décembre 1937 à mars 1938 ont été exécutés. Les élites ont été particulièrement visées, on a décapité les théâtres, les écoles de langues grecques… même des communistes grecs réfugiés en URSS pour fuir la dictature de Metaxas. Parmi les victimes de cette première série d’exécutions, figure Konstantin Chelpan, l’ingénieur qui a conçu le moteur du char soviétique T-34 et qui a reçu pour cela le prix Lénine. Ce char d’assaut a été un élément décisif de la victoire soviétique sur les Allemands lors de l’opération Barbarossa. Mais Chelpan n’a pas vécu cette victoire de l’URSS puisqu’il a été exécuté le 4 février 1938, après avoir dû avouer sous la torture qu’il dirigeait une organisation contre-révolutionnaire nationaliste grecque, complotant pour saboter une usine de Karkhiv !

Les persécutions de la communauté grecques ont particulièrement touché Azov, Odessa, la Crimée, Kharkiv, Kyiv, Donetsk et Krasnodar où vivait une grande partie de la communauté grecque soviétique, mais aussi Donetsk et Marioupol, des villes en grande partie grecques. Les campagnes ont été également très touchées par la “dékoulatisation” visant les Grecs, dans le village ukrainien de Stila, par exemple, au printemps 1938, pas un seul homme âgé de 18 à 60 ans n'avait été laissé en vie. Les purges ont duré 13 ans et contrairement à ce qu’ont vécu d’autres peuples comme les Tatars de Crimée, il n’y a eu aucune réhabilitation ultérieure prononcée par les autorités soviétiques. Les vagues d’arrestations suivantes ont surtout conduit à des déportations massives au goulag, principalement dans la Kolyma, dans l’extrême orient sibérien ou dans les steppes du Kazakhstan. Un grand nombre de ces détenus sont morts de maladie, d’autres se sont suicidés. Les morts massives ont commencé à l’automne 1938 avec les grands froids. Une libération à grande échelle eut lieu pendant l’hiver 1947-1948, mais, seule une petite moitié des prisonniers sont rentrés des camps. De 1937 à 1949, Staline a exterminé 38 000 Grecs.

Récemment, en Ukraine on a construit des monuments à leur mémoire et on discutait de faire du 15 décembre un jour de mémoire. Ce jour-là, des Grecs du monde entier ont une pensée pour les victimes, bien oubliée, de l'opération grecque du NKVD. La date est importante pour de nombreux Grecs, en particulier ceux dont les proches ont été tués pendant la purge. Ce n’est pas un jour commémoratif officiel en Grèce où cet épisode de l’histoire a été longtemps occulté. La Grèce aurait pu sauver beaucoup d’entre eux. Une fois passée la purge sanglante du 15 décembre, Staline proposait de laisser partir la communauté grecque d’URSS, mais Metaxas, le dictateur grec d’extrême droite, ne souhaitait pas le rapatriement de communistes grecs. Après des négociations acharnées, 10 000 visas furent tout de même délivrés par Athènes sur 40 000 demandes déposées, principalement accordés à des femmes et à des enfants de Grecs arrêtés. Une partie des malchanceux sont morts en Sibérie.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 14 décembre 2022

 

Des familles réunies pour inaugurer un premier mémorial en Sibérie peu après la chute de l’URSS

Un mémorial à Krasnodar avec la liste des victimes

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31 mai : la Journée du souvenir des victimes de la répression politique au Kazakhstan

Comme l’Ukraine, le Kazakhstan commémore la grande famine des années 1932-33 (Acharchylyk ) et la répression de masse de l’époque soviétique. La décolonisation de l’empire russe est en marche, déjà dans les têtes. La libération de la mémoire est une première étape.

 

Les exactions commises dans l’empire colonial russe, en particulier à l’époque soviétique, resurgissent des mémoires. Au Kazakhstan, les premières lois mémorielles ont été adoptées peu après l’indépendance. En 1993, les victimes des répressions du stalinisme étaient réhabilitées. En 1997, Noursoultan Nazarbaïev instituait le 31 mai comme la Journée en souvenir des victimes de la répression politique (Қазақстандағы саяси қуғын-сүргін құрбандарын еске алу күні). En 2020,  le nouveau président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev a mis en place une Commission d’État pour la réhabilitation des victimes de la répression politique qui fait re-émerger plusieurs décennies de crimes et de souffrance. Depuis quelques années, un nouveau terme est popularisé dans le discours mémoriel : Acharchylyk (Ашаршылық). C’est l’équivalent kazakh de l’Holodomor des Ukrainiens. La terrible famine a coûté la vie à un million et demi de Kazakhs entre 1932 et 1934 (2 millions de morts si ont y ajoute les autres nationalités vivant au Kazakhstan), soit 40% de la population du pays.

Nomades, les Kazakhs ont été privés de leur bétail, confisqué par les gouverneurs soviétiques. Afin de remplir les quotas pour le blé, les Kazakhs furent forcés de troquer leurs bêtes contre des quantités dérisoires de céréales, ce qui les condamnait à mort car il ne leur restait plus rien. Partout, le bétail mourait à cause des conditions inadaptées, notamment le manque de fourrage dû à la grande sécheresse de 1932-33 associée aux grands froids : en deux ans, la République a perdu plus de 90 % de son cheptel (sur 45 millions de têtes de bétail en 1929, il n’en restait que 3,5 millions en 1935). Beaucoup de Kazakhs n’ont eu la vie sauve qu’en se réfugiant dans les pays voisins. Certains se sont établis au Xinjiang, une région contrôlée par la Chine. Leurs descendants croupissent aujourd’hui dans des camps de concentration aux côtés des Ouïghours.

La date du 31 août fait aussi référence à la répression politique de masse qui a atteint son paroxysme en 1937.  Au cours du XXe siècle Moscou a fait de ses colonies d’Asie centrale des lieux de relégation pour y déporter les peuples qui entravaient l’expansion russe, c’est le cas des Tatars de Crimée. Le territoire du Kazakhstan s'est ainsi transformé en une grande prison avec l'ouverture des plus grands camps de travail correctif, tels que Alzhir (camp d'Akmola pour les femmes des traîtres à la patrie), Steplag et Karlag. Plus de 5 millions de personnes ont été envoyées dans ces camps au cours des années de répression. Selon certains rapports, le nombre total de prisonniers dépasse de loin ces données. Ils étaient d’origines très diverses : Kazakhs, Polonais, Russes, Allemands, Coréens, Ouïghours, Ouzbeks… 25 000 ont été condamnées à la peine capitale, mais la plupart des victimes sont mortes des mauvaises conditions de vie.

Le Kazakhstan s’émancipe peu à peu en dépit d’une présence russe toujours pesante. On notera que le président Tokaïev, un dictateur sauvé l’an dernier d’une insurrection par une intervention militaire russe, ne s’est pas laissé entraîner par Poutine dans la désastreuse guerre d’Ukraine. La décolonisation, très tardive, de l’empire russe est en marche dans toute l’Asie centrale. La libération de la mémoire est une première étape.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 30 mai 2022

 
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1937, Chine, 13 décembre, massacre Bruno Teissier 1937, Chine, 13 décembre, massacre Bruno Teissier

13 décembre : le massacre de Nankin, épisode tragique de la guerre sino-japonaise

Une des pires humiliations pour la Chine que le massacre des habitants de Nankin opéré par l’armée d’occupation japonaise, lors de la prise de la ville, le 13 décembre 1937.

 

La Chine commémore un des grands massacres du XXe siècle. Selon les estimations locales, l’armée d’occupation japonaise aurait massacré quelque 300 000 habitants de la ville de Nankin (aujourd’hui appelée Nanjing) lors de la prise de la ville, le 13 décembre 1937 et dans les jours qui ont suivi. Nankin était alors la capitale de la république de Chine. Même si le bilan a sans doute été un peu surestimé par les Chinois, cet épisode a été un des plus tragiques et des plus humiliants de la guerre sino-japonaise.

Si le massacre de Nankin a profondément marqué la Chine, sa commémoration officielle est très récente, tant l’humiliation a été profonde. C’est en 1995, seulement qu’a été érigé un mur commémoratif sur lequel sont inscrits les noms des 300 000 victimes. Ce n’est qu’en 2014 que date, le 13 décembre, a été désignée comme le Jour commémoratif national pour les victimes du massacre de Nanjing (南京大屠杀遇难者国家纪念日) et érigée en deuil national. Depuis Pékin en fait un élément de propagande contre le Japon.

Depuis chaque année, exactement 10h01, les sirènes commencent à retentir et les automobilistes à travers la ville arrêtent leur voiture. Les piétons s’immobilisent eux aussi pendant une minute de silence en souvenir des victimes. Un cérémonial et un défilé militaires sont organisés au mémorial de la ville. Après le discours, 84 adolescents habiles de blanc lisent une déclaration de paix. Six représentants citoyens font sonner la cloche de la paix. Au total, 3000 colombes blanches sont lâchées pour survoler la place commémorative. Malgré le froid hivernal, des milliers de personnes vêtues de vêtements sombres assistent à la cérémonie commémorative nationale du massacre avec des fleurs blanches épinglées sur la poitrine et défilent pour transmettre leurs condoléances aux derniers survivants encre en vie. Ainsi se déroule ce 84e anniversaire.

Chaque année, le gouvernement japonais est prié de s'excuser auprès des victimes du massacre de Nanjing et de leurs proches survivants et de verser une indemnisation appropriée. Ce qu’il n’a jamais fait. L'un des principaux auteurs du massacre de Nankin, le prince Yasuhiko Asaka, qui commandait les forces japonaises lors de l'assaut final de Nanjing, n'a jamais été inculpé de crimes de guerre.

Dans la diaspora chinoise, des cérémonies prennent un peu plus d’ampleur chaque année. En 2018, la ville de Toronto a inauguré un mur commémoratif du massacre de Nanjing et, depuis, organise une cérémonie.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 12 décembre 2021

 
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