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25 avril : l’anniversaire de la Révolution des Œillets au Portugal

Il y a 50 ans , la Révolution des œillets au Portugal, mettait fin, sans effusion de sang, à l’une des dictatures les plus longues et les rétrogrades d’Europe. Un type de régime dont les extrêmes droites européennes, notamment en France, mais aussi au Portugal, se proposent de réinstaurer.

 

La Révolution des œillets (Revolução dos Cravos), au Portugal, avait mis fin, sans effusion de sang, à l’une des dictatures les plus longues et les rétrogrades d’Europe. Elle avait aussi permis l’indépendance des colonies portugaises d’Afrique. Chaque 25 avril, pour son anniversaire, un défilé se déroule le long de l'Avenida da Liberdade, la grande avenue de Lisbonne. La veille, dans beaucoup de villes, on a tiré un feu d'artifice au son de la chanson Grândola, Vila Morena.

Chaque année, on se remémore cet évènement. Aux premières heures du 25 avril 1974, à 0 h 25, Rádio Renascença, une radio catholique portugaise, avait diffusé la chanson Grândola, Vila Morena, du compositeur José Afonso. C’était le signal attendu par les jeunes soldats du Mouvement des forces armées (MFA) pour déclencher la révolution.

Orchestré par environ 200 capitaines et majors de l’armée portugaise, le soulèvement, qui fête ses 48 ans ce lundi, visait à rétablir la démocratie au Portugal, paralysé depuis 1933 par l'Estado Novo d'António de Oliveira Salazar, le dictateur qui a gouverné le pays jusqu'en 1968, année où il passa le pouvoir à son héritier politique, Marcello Caetano. 

Les partis et mouvements politiques étaient interdits et de nombreux dirigeants de l'opposition étaient emprisonnés ou en exil. De plus, l'image des forces de sécurité du pays était déjà assez érodée par la durée et la dureté du régime de Salazar et surtout par les guerres coloniales en Angola, Mozambique, Guinées Bissau… 

L'idée de ce soulèvement est venue des officiers Otelo Saraiva de Carvalho et Vasco Lourenço, par le biais du MFA, un mouvement nouvellement créé dont le but véritable avait été caché aux autorités. 

Le soulèvement a eu lieu en un éclair. Suite à la diffusion de la chanson de José Afonso à la radio, le MFA a occupé en quelques heures divers emplacements stratégiques à travers le pays. Au lever du jour, une foule d’environ un million de personnes avait déjà encerclé les stations de radio en attente d'informations. L'opération a complètement surpris Marcello Caetano. Acculé, il démissionne par téléphone et s'exile à Rio de Janeiro, où il vécut jusqu'à sa mort en octobre 1980.

En apprenant que les militaires avaient l'intention de restaurer la démocratie et de mettre fin à la guerre coloniale, les Portugais ont commencé à donner des œillets aux soldats, qui les ont mis au bout de leurs fusils - ce qui donne son nom à la révolution. Parce qu’il s'est déroulé sans effusion de sang, le soulèvement a bénéficié d'un large soutien populaire.

La promesse de la démocratie a été tenue : le 25 avril 1975, jour anniversaire de la révolution, les premières élections directes en 41 ans ont eu lieu. Les socialistes ont gagné. Un an plus tard, à nouveau un 25 avril, date symbolique, la nouvelle Constitution du pays est entrée en vigueur.

Suite à la révolution, une fête nationale a été instituée au Portugal le 25 avril, appelée Journée de la Liberté (Dia da liberdade).  La Révolution des Œillets a également permis, des années plus tard, au Portugal de rejoindre l'Union européenne, mettant fin à un demi-siècle d’isolement volontaire de la dictature de Salazar. 

C’est un anniversaire un peu désenchanté, le Parti socialiste (très souvent au gouvernement depuis trois décennies) vient tout juste de céder le pouvoir à la droite et une extrême droite nostalgique de Salazar a émergé électoralement avec 18,8 % des voix lors des législatives du 10 mars 2024. Celle-ci a surfé, notamment, sur la crise immobilière particulièrement aigüe au Portugal, mais aussi sur des scandales qui ont touché la gauche comme la droite ces dernières années.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 24 avril 2024

Mise à jour 2025 : Celeste Caeiro est décédée le 15 novembre 2024, elle avait 91 ans. C’est elle qui avait eu l’idée de distribuer des œillets aux soldats qu’elle croisait dans la rue le matin du 25 avril 1974. Ils étaient destinés aux clients de son restaurant, mais compte tenu des événements… Sans s’en rendre compte, elle avait inventé le symbole de ce coup d'État démocratique.

 
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URSS, Russie, Goulag, Communisme, 1974, 30 octobre Bruno Teissier URSS, Russie, Goulag, Communisme, 1974, 30 octobre Bruno Teissier

30 octobre : en Russie, la mémoire refoulée du Goulag

Dans diverses villes de Russie, on commémore de manière officieuse les victimes du Goulag et de la répression à l’époque soviétique. Une cérémonie bien discrète au regard des 10 à 15 millions de morts. Mais l’heure est à la réhabilitation de Staline et à la célébration du dictateur Poutine qui fait emprisonner toute voix dissidente.

 

Ces dernières années, ils étaient quelques centaines, peut-être un millier, à se rassembler chaque 30 octobre autour d’une grosse pierre devant laquelle brûlent des dizaines de bougies. La roche a été rapportée des îles Solovki, là où les premiers camps de concentration soviétiques ont été établis dès les années 1920. Placée là par l’organisation Mémorial, elle sert à Moscou de monument commémoratif aux victimes de la répression politique que l’on célèbre officiellement en Russie. Nous sommes sur la place de la Loubianka à Moscou, le bâtiment qui abritait jadis le siège du KGB, et aujourd’hui celui de son principal successeur le FSB. Le 29 octobre, c’était la traditionnelle lecture publique des noms des victimes de la terreur politique soviétique.

Habituellement, un semblable attroupement a lieu au même moment à Saint-Pétersbourg devant une pierre de la même ori­gine. Cela dit, les commémorations demeuraient bien discrètes eu égard aux 10 à 15 millions de morts dans les camps du Goulag soviétique. La Russie de Poutine a eu de plus en plus de mal à regarder son passé en face et a procédé à un blanchiment complet de la figure de Staline.

En 2021, Poutine a fait interdire l’association Mémorial à l’origine des commémorations. La raison est que cette ONG russe continuait à affirmer qu’il y avait toujours, en 2021, des centaines de prisonniers politiques e Russie. Ils sont des milliers en 2022.

En 2022, il n’est plus question de commémoration officielle en Russie. L’association Mémorial, dissoute, a tout de même reçu le prix Nobel de la paix 2022.

Le 30 octobre 1974, dans son propre appartement Andreï Sakharov (et Sergueï Kovalev) organisaient la première conférence de presse annonçant que le 30 octobre serait désormais le « jour des détenus politiques en URSS ». Le même jour, dans les camps de Mordovie, de Perm et à la prison de Vladimir, des détenus politiques entament une grève de la faim. Les années suivantes des manifestations se déroulent à la même date. Le 30 octobre 1989, plus de 3000 personnes, tenant des cierges, font une chaine humaine autour du siège du KGB, sur la place de la Loubianka à Moscou. Ils sont dispersés par les troupes du ministère de l'Intérieur.

Finalement, en 1991, le le Soviet suprême fait inscrire le 30 octobre dans le calendrier des fêtes d'État comme Journée pour la mémoire des victimes des répressions politiques (День па́мяти жертв полити́ческих репре́ссий). Les cérémonies officielles sont souvent modestes, quoiqu’en 2017 (le 30 octobre), un imposant monument, dédié aux victimes des répressions politiques, a été inauguré par Poutine au croisement de la perspective Sakharov et de l’Anneau des jardins, dans le centre de la capitale russe. C’est le premier monument du pays dédié aux victimes du stalinisme. Tout à basculé dans le sens inverse en peu d’années, le régime de Poutine a récusé toute commémoration d’un passé qui est aujourd’hui totalement écrit. La propagande a si bien fonctionné que 70% des Russes ont une image positive de Staline, ils n’étaient que 40% en 2007.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 29octobre 2022

Mise à jour 2024 : le 14 novembre, le Musée de l’histoire du goulag a été fermé (officiellement pour des questions de norme anti-incendie) et il y a peu de chance qu’il rouvre un jour prochain. Le 30 octobre 2024, il avait organisé une Journée de la répression politique en URSS. Des dizaines d’anonymes avaient lu les noms des victimes tuées pendant la terreur stalinienne. Ce musée avait reçu le prix du Musée, décerné par le Conseil de l’Europe. C’en était trop pour le régime de Poutine appliqué à réhabiliter l’URSS de Staline.

Le 3 décembre, on a annoncé le déplacement de la grosse pierre autour de laquelle brûlent des dizaines de bougies. Le projet est de l’installer le plus loin possible de la Loubianka afin d’effacer ce lieu de mémoire et de manifestation du 30-octobre.

 
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La roche rapportée des îles Solovki, devant l’immeuble de la Loubianka, telle qu’elle existait jusqu’en 2024.

Le 30 octobre 1989, à l'appel de Mémorial, plusieurs milliers de personnes avaient formé une chaîne humaine autour du bâtiment du KGB sur la place Dzerjinski (aujourd'hui Loubianka) à Moscou avec des bougies et des pancartes du type « Nous exigeons le procès des bourreaux du KGB ! ». Photo : Dmitri Borko

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