31 décembre : le massacre d’Ékité, mémoire de la sale guerre du Cameroun
La guerre de décolonisation du Cameroun a longtemps été occultée, car contemporaine de la guerre d’Algérie où étaient envoyés les appelés, alors qu’au Cameroun, c’était l’affaire de l’armée de métier, la grande muette qui, sur ce sujet, le restera. Il fallut attendre une visite du président Hollande, en 2015, pour la reconnaissance d’une répression dans la Sanaga-Maritime, où se situe Ékité, et en pays bamiléké.
Le 12 août 2025, suite aux conclusions d’une équipe d’historiens, le président Macron reconnaissait que la France avait mené « une guerre » au Cameroun entre 1945 et 1971, marquée par des « violences répressives » infligées à la population. Dans sa lettre adressée au président Paul Biya, le chef de l’État français évoque notamment le massacre d’Ékité du 31 décembre 1956, ainsi que la responsabilité de la mort de quatre leaders de l’indépendance, dont Ruben Um Nyobe, exécuté le 13 septembre 1958.
Le Cameroun n’était pas une colonie mais un pays partagé et confié à la France et à la Grande Bretagne dans le cadre d’un mandat de la SDN puis de l’ONU. Forts de leur bon droit, des militants indépendantistes y étaient particulièrement informés et combatifs.
À partir de 1945, la France s’est d’abord mobilisée pour entraver la montée en puissance du parti indépendantiste, l’Union des populations du Cameroun (UPC) fondé en 1948 et dissous en 1955, poussant ses militants à passer dans la clandestinité. C’est en poursuivant des membres de l’UPC que l’armée française est tombée sur Ékité, ville frondeuse du sud-ouest du Cameroun, où elle a massacré plusieurs dizaines, peut-être plus d’une centaine, de ses habitants. « “C’était dans la nuit du 30 au 31 décembre 1956. Une nuit qui a bouleversé toute ma vie”, confie-t-elle. “Nous étions sous un arbre lorsque le crépitement des armes nous a surpris. C'était le sauve-qui-peut”, relate la vieille dame, racontant avoir couru de toutes ses forces, en enjambant des cadavres : “Il y en avait partout”. » extrait d’un témoignage publié dans Le Point, le 28 décembre 2019
Un rapport d’historiens, dirigé par Karine Ramondy et publié en janvier 2025, permit, en croisant les archives militaires et les témoignages de proches des victimes, de « déconstruire le récit officiel, qui présente cette violence collective comme une contre-attaque légitime, alors qu’elle relève d’un assaut à l’encontre de civils désarmés ». « Cette première phase de violences extrêmes se solde par l’enracinement de la guerre, alors que les autorités coloniales maintiennent une forte répression judiciaire et politique », constate le rapport. Il est aussi question de « la politique de déplacements forcés des civils vers des camps dits “de regroupement”, inspirés des méthodes mises en œuvre par l’armée française au Cambodge », selon le rapport, qui livre un récit précis d’une « pratique, pleinement assumée par les militaires comme un instrument “contre-révolutionnaire”, destiné à couper les liens familiaux ou sociaux entre les civils et les combattants ». (Cité dans le Monde du 7 février 2025
Ce rapport remis aux présidents Macron et Biya en janvier 2025 estime que les forces françaises ont « probablement tué plusieurs dizaines de milliers de Camerounais » entre 1945 et 1971. Car la guerre s’est poursuivie au-delà de l’indépendance officiellement acquise le 1er janvier 1960. Ahmadou Ahidjo, le premier président, reprendra à son compte la répression de l’UPC, formation de gauche, toujours avec l’aide, plus discrète, de l’armée française.
L’UPC est sorti de la clandestinité en 1991 à la faveur de l’instauration du multipartisme (mais pas de la démocratie). Ses membres commémorent chaque année la mort de ses principaux leaders assassinés ainsi que de drames comme le massacre d’Ékité, remémoré chaque 31 décembre.
Toutefois tant que Paul Biya, un des piliers de la « françafrique » demeurera au pouvoir, la chape de plomb sur la guerre du Cameroun ne sera pas levée. Rien de cette histoire n’est enseigné aux écoliers et lycéens. Paul Biya a été réélu le 12 octobre 2025 pour un huitième mandat après des élections très contestées.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 15 décembre 2025
Lire : l’ouvrage de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971 (La Découverte, 2011), un livre qui a marqué une rupture dans l’historiographie.
Télécharger le rapport dirigé par Karine Ramondy et remis aux présidents Macron et Biya en janvier 2025. Mille pages rédigées par une commission d’historiens camerounais et français.
Les membres du bureau politique de l’UPC en marge d’une conférence, avec Ruben Um Nyobé (au centre avec des lunettes noire), le 6 mars 1955.