28 octobre : la mémoire controversée de la Seconde Guerre mondiale en Ukraine
En vertu d’un décret du président Viktor Iouchtchenko, pris en 2009, le 28 octobre est célébré comme Journée de la libération de l'Ukraine des envahisseurs fascistes (День визволення України від нацистських загарбників). Des commémorations sont organisées dans tout le pays pour honorer la mémoire des quelque neuf millions de victimes de la Seconde Guerre mondiale, en Ukraine.
Cette commémoration est très contestée par de nombreux Ukrainiens soucieux de la vérité historique, et notamment par Institut ukrainien de la mémoire nationale (UINP). Ce dernier œuvre à l’abrogation de ce décret car il est basé, selon lui, sur un récit soviétique et mythifié de la Seconde Guerre mondiale.
D’abord, la date est inexacte, ce qui est typique des commémorations soviétiques. Si la ville de Oujhorod, en Trancarpatie, a bien été libérée le 28 octobre 1944, les combats dans cette région durèrent jusqu'aux 25 et 26 novembre, date à laquelle les occupants nazis furent finalement chassés d'Ukraine.
L’intitulé lui-même est contesté : « libération des envahisseurs fascistes ». L’UINP propose son remplacement par « expulsion des occupants nazis ». En effet, l’automne 1944 n’a pas été marqué la libération de l'Ukraine, mais par le remplacement d’une occupation par une autre. Selon la nouvelle vision de l’Histoire qu’ont les Ukrainiens, libérés du poids de la censure russe, la véritable libération de l’Ukraine n’est intervenue qu’en 1991, à la faveur de la disparition de l’URSS.
De plus, l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en Ukraine est beaucoup plus complexe, certains Ukrainiens ont été mobilisés de force dans l'armée hongroise, pendant l'occupation de la Transcarpatie, et d’autres ont été intégrés à l’armée roumaine pendant l’occupation de la Bucovine. Des Ukrainiens ont aussi combattu du côté des nazis dans la division SS « Galicie ». D’autres sont morts au sein de l’Armée rouge en libérant le territoire de l’URSS. D’autres encore, ont perdu la vie les armes à la mains en tentant de résister à cette même Armée rouge. Et, il n’y a pas que les morts au combat, la population civile a été très affectée par le conflit. Entre 1941 et 1944, plus d’un million de juifs ukrainiens ont été assassinés dans le cadre d’une politique d’extermination mise en œuvre par les Allemands mais, localement, avec la participation de certaines forces ukrainiennes, notamment l’Armée insurrectionnelle ukrainienne…
Une date consensuelle pour solder cette période et rendre hommage à toutes les victimes du second conflit mondial ne sera pas aisée à trouver quand l’Ukraine aura recouvré un peu de sérénité pour en débattre. Les Russes, en restaurant à la virgule près, le récit soviétique, ont refermé le couvercle de l’Histoire. Les Ukrainiens sont, eux, soucieux se forger une mémoire plus proche de la vérité historique ce qui est toujours plus compliqué que de cultiver des légendes comme le font leurs voisins du Nord.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 27 octobre 2025
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