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URSS, Russie, Goulag, Communisme, 1974, 30 octobre Bruno Teissier URSS, Russie, Goulag, Communisme, 1974, 30 octobre Bruno Teissier

30 octobre : en Russie, la mémoire refoulée du Goulag

Dans diverses villes de Russie, on commémore de manière officieuse les victimes du Goulag et de la répression à l’époque soviétique. Une cérémonie bien discrète au regard des 10 à 15 millions de morts. Mais l’heure est à la réhabilitation de Staline et à la célébration du dictateur Poutine qui fait emprisonner toute voix dissidente.

 

Ces dernières années, ils étaient quelques centaines, peut-être un millier, à se rassembler chaque 30 octobre autour d’une grosse pierre devant laquelle brûlent des dizaines de bougies. La roche a été rapportée des îles Solovki, là où les premiers camps de concentration soviétiques ont été établis dès les années 1920. Placée là par l’organisation Mémorial, elle sert à Moscou de monument commémoratif aux victimes de la répression politique que l’on célèbre officiellement en Russie. Nous sommes sur la place de la Loubianka à Moscou, le bâtiment qui abritait jadis le siège du KGB, et aujourd’hui celui de son principal successeur le FSB. Le 29 octobre, c’était la traditionnelle lecture publique des noms des victimes de la terreur politique soviétique.

Habituellement, un semblable attroupement a lieu au même moment à Saint-Pétersbourg devant une pierre de la même ori­gine. Cela dit, les commémorations demeuraient bien discrètes eu égard aux 10 à 15 millions de morts dans les camps du Goulag soviétique. La Russie de Poutine a eu de plus en plus de mal à regarder son passé en face et a procédé à un blanchiment complet de la figure de Staline.

En 2021, Poutine a fait interdire l’association Mémorial à l’origine des commémorations. La raison est que cette ONG russe continuait à affirmer qu’il y avait toujours, en 2021, des centaines de prisonniers politiques e Russie. Ils sont des milliers en 2022.

En 2022, il n’est plus question de commémoration officielle. L’association Mémorial, dissoute, a tout de même reçu le prix Nobel de la paix 2022.

Le 30 octobre 1974, dans son propre appartement Andreï Sakharov (et Sergueï Kovalev) organisaient la première conférence de presse annonçant que le 30 octobre serait désormais le « jour des détenus politiques en URSS ». Le même jour, dans les camps de Mordovie, de Perm et à la prison de Vladimir, des détenus politiques entament une grève de la faim. Les années suivantes des manifestations se déroulent à la même date. Le 30 octobre 1989, plus de 3000 personnes, tenant des cierges, font une chaine humaine autour du siège du KGB, sur la place de la Loubianka à Moscou. Ils sont dispersés par les troupes du ministère de l'Intérieur.

Finalement, en 1991, le le Soviet suprême fait inscrire le 30 octobre dans le calendrier des fêtes d'État comme Journée pour la mémoire des victimes des répressions politiques (День па́мяти жертв полити́ческих репре́ссий). Les cérémonies officielles sont souvent modestes, quoiqu’en 2017 (le 30 octobre), un imposant monument, dédié aux victimes des répressions politiques, a été inauguré par Poutine au croisement de la perspective Sakharov et de l’Anneau des jardins, dans le centre de la capitale russe. C’est le premier monument du pays dédié aux victimes du stalinisme. En peu d’années, le régime de Poutine a récusé toute commémoration d’un passé qui est aujourd’hui totalement écrit. La propagande a si bien fonctionné que 70% des Russes ont une image positive de Staline, ils n’étaient que 40% en 2007.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde

 
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Le 30 octobre 1989, à l'appel de Mémorial, plusieurs milliers de personnes forment une chaîne humaine autour du bâtiment du KGB sur la place Dzerjinski (aujourd'hui Loubianka) à Moscou avec des bougies et des pancartes du type « Nous exigeons le procès des bourreaux du KGB ! ». Photo : Dmitri Borko

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1917, Russie, Police, 20 decembre Bruno Teissier 1917, Russie, Police, 20 decembre Bruno Teissier

20 décembre : le régime russe célèbre sa police politique

Imaginerait-on en Allemagne célébrer l’anniversaire de la Gestapo ? En Russie, on continue à fêter chaque 20 décembre celle de la Tchéka, la police politique, ancêtre du FSB, l’organisme qui a tenté récemment d’empoisonner Alexeï Navalny.

 

Imaginerait-on en Allemagne célébrer l’anniversaire de la Gestapo ? En Russie, on continue à fêter chaque 20 décembre celle de la Tchéka, la police politique, ancêtre du FSB (service secret russe), l’organisme qui a tenté récemment d’empoisonner Alexeï Navalny. Poutine ne manque jamais cette célébration annuelle à laquelle il participe pleinement, lui ancien membre du KGB.

La célébration du 20 décembre est sans doute la plus ancienne des fêtes officielles russes puisqu’elle remonte aux années 1920. Elle symbolise la parfaite continuité politique de la Russie soviétique à celle de Poutine. La Tchéka a été fondée le 20 décembre 1917 par Félix Dzerjinski pour combattre les opposants à la révolution. Très vite, ses effectifs deviennent considérables : de 600 en mars 1918, les tchékistes passent à 2 000 en juillet, puis à 40 000 à la fin de l'année. En 1920, un décret autorise la Tchéka à interner en camp de travail, « pour un délai n'excédant pas cinq ans », des individus apparaissant comme « innocents aux termes de l'instruction », mais qui sont perçus comme ennemis. Autrement dit, sa mission est de neutraliser les opposant au régime. C’est exactement ce que vient de faire le FSB en tentant d’empoisonner Alexeï Navalny, le principal opposant à Vladimir Poutine sur la scène politique russe. Celui-ci a été sauvé par la médecine allemande qui a détecté un poison dont seuls les services russes font usage.

La Tchéka a été rebaptisée en Guépéou, puis en NKVD puis en KGB, là où justement Poutine a fait toute sa carrière avant de prendre le pouvoir. Au moment de la chute du communisme, les foules en colère ont procédé au déboulonnent la statue de Dzerjinski, d’abord à Varsovie en 1989, puis à Moscou en 1991 : celle qui trônait devant la Loubianka, le siège de la police politique de 1920 à nos jours. Le KGB a été partiellement démantelé mais c’est sans doute l'institution la mieux préservée depuis la chute de l'URSS. Son successeur, le FSB, a le vent en poupe dans la nouvelle Russie. Ses membres revendiquent toujours l’appellation de tchékiste. Chaque 20 décembre en Russie, on célèbre une institution qui a assassiné plusieurs millions de personnes, y compris ses propres cadres , qui a inventé le Goulag, réduit en esclavage et déporté des millions de citoyens soviétiques parfaitement innocents mais qui étaient d'origine ou d'origine ethnique suspecte.

La Russie a largement bouleversé le calendrier de ses célébrations officielles, la Révolution d’octobre n’est plus commémorée mais la fête soviétique de la Tckéka, rebaptisée Journée des membres des services de sécurité, est toujours marquée avec ferveur et ses propres membres restent attachés à l’appellation d’origine. En référence à cet anniversaire, les tchékistes étaient autrefois payés le vingt de chaque mois (date choisie pour commémorer la naissance de la Tcheka dans le calendrier grégorien). On estime nombre de citoyens soviétiques tués par la Tcheka à environ 20 millions. Chaque année, on évoque la remise en place de la statue de Dzerjinski, auquel les services vouent un culte, sur la place de la Loubianka. Pour l’occasion le site de la Loubianka vend des objets souvenir : www.lubanka.ru 

Pratiquement chaque famille peut nommer au moins un membre victime de Felix Dzerjinski ou de l'un de ses successeurs. On s’en doute la célébration n’est pas populaire, mais le FSB n’a de compte à rendre ni au Parlement ni à l'opinion publique, il n’est responsable que devant le Kremlin. Alexeï Navalny sait que s’il revient en Russie, il risque à nouveau sa vie. Ainsi fonctionne la vie politique russe. Il y a cinq siècles, Ivan le terrible gouvernait déjà ainsi.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde

 
Poutine et des agents du FSB

Poutine et des agents du FSB

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