L’Almanach international
Parce que chaque jour est important quelque part dans le monde
28 septembre : en Guinée, la mémoire toujours vive d’un massacre d’État
La date fait référence à un massacre perpétré par les forces du dictateur Dadis Camara, le 28 septembre 2009, dans un stade qui fut jadis baptisé 28-Septembre en référence à un événement dont les Guinéens sont fiers.
Le 28 septembre 2009, des manifestants pacifiques s’étaient réunis au grand stade de Conakry pour demander une transition démocratique, la tenue d’élections libres et le départ du dictateur Moussa Dadis Camara. Des agents des forces de défense et de sécurité guinéennes, dont des membres de la garde présidentielle, ont alors orchestré un massacre, le jour même et les suivants. Au moins 156 personnes ont été tuées par balles, au couteau, à la machette ou à la baïonnette. Des dizaines d’autres sont portées disparues, le bilan serait bien plus lourd. Plus d’une centaine de femmes ont été victimes de viols ou d’autres formes de violences sexuelles.
Le stade où s’est déroulé le massacre porte le nom de stade du 28-Septembre, non en raison de la dramatique journée dont il a été le théâtre, mais en référence à la date du référendum organisé par la France en 1958 sur la constitution d’une Communauté française, destinée à retarder les indépendances. Les Guinéens ont été les seuls à voter non ce qui mena la Guinée à son indépendance. La date de cet acte politique dont les Guinéens sont fiers est maintenant occultée par e bain de sang de 2009.
Il a fallu attendre 2022, symboliquement le 28 septembre 2022, pour que le procès des acteurs du massacre s’ouvre enfin. Ce fut la plus grande audience criminelle jamais organisée en Guinée. Il a fallu pour cela construire un nouveau tribunal. Il s’est déroulé jusqu’au 31 juillet 2024. 8 des accusés sont condamnés pour crimes contre l'humanité à des peines de prison comprises entre 10 ans et la perpétuité. L‘ex-dictateur, Moussa Dadis Camara a été condamné à 20 ans de prison. Mais celui-ci a été libéré par un décret présidentiel, en mars 2025, officiellement pour "raisons de santé" et l’ancien dictateur qui avait dirigé le pays jusqu’en juin 2010, a pu trouver refuge au Maroc.
À l’occasion du 16ᵉ anniversaire du massacre, une coalition d’organisations internationales et nationales de défense des droits humains a adressé une lettre ouverte au président de la transition, le général Mamadi Doumbouya. Elle réclame « l’annulation urgente » de la grâce accordée à l’ancien chef de l’État Moussa Dadis Camara, condamné pour crimes contre l’humanité.
Quant aux victimes, il a été annoncé en mars 2025 qu’elles seraient indemnisées… À ce jour, elles n’ont rien reçu.
La Guinée est dirigée par un autre dictateur, le général Mamadi Doumbouya, président d’une « transition » qui s’éternise depuis le putsch de 2021. Une nouvelle constitution récemment approuvée annonce des élections, mais étant donné la chape de plomb qui pèse aujourd’hui sur le pays, il y a peu de chances qu’elles se déroulent de manière démocratique.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 28 septembre 2025
5 octobre : la journée de la langue tadjike
C'est la journée de la langue officielle de la République du Tadjikistan. La petite république d'Asie centrale cultive et illustre sa langue sauvée de l'extinction par la disparition de l'URSS. La date choisie pour la célébrer est l'anniversaire du dictateur tadjik, présenté comme le père de la nation.
La Journée de la langue d'État a été créée en 1990, à la suite de l'indépendance du Tadjikistan de l'Union soviétique. À l’époque c’est la date du 22 juillet avait été choisie, faisant référence à la loi du 22 juillet 1989 qui faisait du tadjik la langue officielle du Tadjikistan. Mais cette date tombe pendant les vacances scolaires, il était difficile de faire participer la jeunesse à cette journée. En 2009, pour le 20e anniversaire, on décida de déplacer au 5 octobre, la Journée de la langue officielle de la République du Tadjikistan (Рӯзи забони давлатии Ҷумҳурии Тоҷикистон). Le 5 octobre a l’avantage d’être également l’anniversaire du dictateur : le président Emomalij Rahmon qui fête aujourd’hui ses 72 ans et qui aussi présenté par le régime comme le père de la nation. Cet ancien apparatchik soviétique règne sur le Tadjikistan de manière autoritaire depuis 1992. Une modification constitutionnelle, en 2016, a levé la limite des mandats présidentiels, permettant ainsi à Rahmon de rester au pouvoir aussi longtemps qu'il le souhaite !
Le Tadjik, une langue persane proche du dari parlé en Afghanistan, est la langue maternelle de 85% de la population du Tadjikistan. Dans l’administration, elle partage son rôle avec le russe qui jouit lui aussi du statut de langue officielle, bien que ce ne soit plus la langue maternelle de personne depuis la chute de l’URSS et l’effondrement de l’influence russe dans la région.
Au XXe siècle, le russe l’avait évincé de toute vie publique. Le tadjik n’était plus parlé qu’à la maison et à l’école primaire. La population ne savait plus le lire après l’adoption de l’alphabet latin en 1929 et du cyrillique en 1940. Le tadjik a été sauvé par des linguistes, des écrivains et même des chanteurs, comme Zafar Nazim, qui se sont mobilisés dès 1988 pour que la langue du peuple soit déclarée langue nationale. L’écriture persane d’origine n’a pas vraiment été rétablie, on continu à l’écrire en cyrillique, mais le tadjik a aujourd’hui imposé son rôle dans toutes les sphères de la société.
Le Tadjikistan est la république d’Asie centrale la plus pauvre et la plus marginale, la seule à être de langue persane. D’où l’importance pour le pays de cultiver une langue qui fut jadis, bien avant que le russe la supplante, hégémonique dans le monde culturel ainsi qu’au sein des élites de toute l’Asie centrale, et même jusque dans le nord de l’Inde. Mais c’est une époque révolue depuis la chute des Moghols en Inde et la colonisation russe de l’Asie centrale.
Aujourd’hui, dans certaines régions, le tadjik côtoie l’ouzbek, une langue turque, parlée par 12% de la population du Tadjikistan, mais le tadjik est aussi parlé en Ouzbékistan, principalement à Boukhara et Samarcande, deux villes persane.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 5 octobre 2024
23 mars : une date de paix ou de guerre en Afrique méridionale
Le 23 mars dans le sud du continent africain est à la fois symbole de guerre, voire de massacres dans l’est de la RDC, et de paix quand on songe à ce que la fin du conflit postcolonial, il y a 36 ans, a permis de bouleversements géopolitiques comme la paix en Angola, l’indépendance de la Namibie et la fin de l’apartheid en Afrique du Sud.
Ce 23 mars 2024, un sommet extraordinaire de la SADC (Communauté de développement de l'Afrique Australe) est réuni à Lusaka, capitale de la Zambie, pour débattre de questions de sécurité dans l’Est de la République démocratique du Congo et à Cabo Delgado, au Mozambique. Kinshasa compte sur la force de la SADC en cours de déploiement dans l'est de la RDC pour l'aider à "récupérer les territoires" occupés par la rébellion du M23 (le Mouvement du 23 mars).
Cette date du 23 mars est brandie par un mouvement rebelle, majoritairement tutsi et soutenu par le Rwanda. Ce mouvement du 23 mars, également appelé M23, est un groupe créé à la suite de la guerre du Kivu. Il est composé d'ex-rebelles réintégrés dans l'armée congolaise à la suite d'un accord de paix signé le 23 mars 2009 avec Kinshasa. Mais, en 2012, nombre de ses membres se sont mutinés, considérant que le gouvernement congolais n'avait pas respecté les modalités de l’accord de 2009. C’est ainsi qu’est né le M23. Dans l’est de la RDC, les combats ont repris de plus belle depuis 2021. Le M23 est accusé de nombreuses violences contre les populations civiles, par des ONG (Human Rights Watch), par la cour pénale internationale et par le gouvernement américain. C’est de cette situation d’urgence dont on débat aujourd’hui à Lusaka, hôte d’un sommet de la SADC.
Ce même jour, le 23 mars, a une autre signification en Afrique australe, depuis 2018. Cette année-là , on fêtait le 30e anniversaire de la bataille de Cuíto Cuanavale et le 23 mars a été décrété Jour de la Libération de l'Afrique Australe (Dia da Libertação da África Austral) en souvenir de la fin de cette bataille qui s’est déroulée du 15 novembre 1987 au 23 mars 1988 sur le territoire de l’Angola. Ce pays, en particulier, en a fait une célébration nationale qui a lieu chaque année, principalement à Cuíto Cuanavale et à Luanda. Pour le régime de Luanda, issu de ce conflit post-colonial, cultiver la gloire de cette victoire est un moyen de faire oublier l’absence totale d’alternance politique depuis un demi-siècle.
La bataille de Cuíto Cuanavale est décrite comme l’une des plus importantes et l’une des dernières de la guerre froide. Elle opposait l’armée du FPLA, un mouvement de libération angolais, au pouvoir à Luanda depuis l’indépendance du pays, à celle de l’UNITA, un autre mouvement rebelle dirigé par Jonas Savimbi, qui combattait pour le camp adverse, avec le soutien de l’Afrique du Sud (encore sous apartheid) et des États-Unis. Alors que les forces de Luanda bénéficiaient du soutien militaire de Cuba et de l’URSS selon la logique de la guerre froide.
Cette bataille qui gangrenait le sud du continent, s’est arrêtée un 23 mars, en 1988, et a débouché sur les Accords de New York, qui ont donné lieu à la mise en œuvre de la Résolution 435/78 du Conseil de sécurité de l'ONU, conduisant à un retrait des forces cubaines et sud-africaines, puis à l’indépendance de la Namibie deux ans plus tard (presque jour pour jour) et finalement en 1994, à la fin du régime de ségrégation raciale en vigueur en Afrique du Sud. C’est dire l’importance de cette date, même si cette victoire militaire est loin d’être le seul facteur des bouleversements géopolitiques vécus dans la région à la toute fin du XXe siècle.
La décision de faire du 23 mars un jour de commémoration a été approuvée à l'unanimité par 15 États membres de la SADC lors du 38e sommet ordinaire de cette organisation régionale qui s’est tenu en 2018 dans la capitale namibienne, Winddhoek. Sa célébration est variable selon les États. Seule l’Angola en a fait un jour férié et chômé, reporté à lundi puisque cette année, le 23 mars tombe un samedi.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 23 mars 2024
Le mémorial de la bataille de Cuíto Cuanavale
 
                         
             
             
