L’Almanach international
Parce que chaque jour est important quelque part dans le monde
9 avril : la journée des Martyrs en Tunisie
C’est un épisode sanglant de la lutte anticoloniale que commémore la Tunisie. Mais, c’est toujours délicat pour un régime autocratique de célébrer un soulèvement populaire réclamant la démocratie. Le président Kaïs Saïed va devoir ce 9 avril se plier à l’exercice.
Un régime autocratique est toujours retissant à commémorer un soulèvement national, même ancien, de crainte que cela en déclenche un nouveau. D’ailleurs dans la suite du Printemps arabe, le 9 avril 2012, la célébration du 9-Avril s’était transformée en émeutes dans les rues de Tunis. En 2023, le 9 avril, des centaines de militants de partis d’opposition manifestaient contre les arrestations arbitraires d’opposant qui se multiplient depuis que le président Kaïs Saïed s’est arrogé les pleins pouvoirs.
Ce 9 avril 2025, le président tunisien tient à honorer les martyrs du 9 avril 1938. La cérémonie a traditionnellement lieu au monument des martyrs de Séjoumi. L’an dernier, il était venu déposer une gerbe de fleurs au pied du mémorial, et avait récité la Fatiha à leur mémoire. La cérémonie se termine par un salut au drapeau tunisien au son de l’hymne national.
La Commémoration des Martyrs (عيد الشهداء), rappelle un épisode sanglant de la lutte anticoloniale. Si la Tunisie n’a pas connu la terrible guerre qui a ravagé l’Algérie, le combat contre l’occupation française a tout de même fait de nombreuses victimes. Le 9 avril 1938, alors que depuis plusieurs semaines des manifestations populaires réclamaient des réformes politiques, notamment l’institution d’un parlement, un mouvement spontané de la jeunesse a pris de court les forces de police qui ont tiré dans la foule. Le bilan est lourd : on relève 22 morts et près de 150 blessés, la majorité d'entre eux n’avaient qu’une vingtaine d’années, trois étaient des enfants. C’est le souvenir des victimes de cet événement tragique qu’entretient chaque année la Journée des Martyrs, jour férié et chômé depuis 1957. Le lendemain, Habib Bourguiba et douze de ses camarades, dirigeants du parti Néo Destour, sont arrêtés, ainsi que des milliers d’autres. Le parti est dissous, la presse nationaliste interdite… L’état de siège tuera plusieurs mois.
C'est sur le site de Séjoumi que sont enterrés les militants nationalistes à partir de l'affaire du Djellaz (1911). La Fête des martyrs y est célébrée chaque 9 avril. En 2001, un Musée de la mémoire nationale y a été inauguré, symboliquement le 9 avril. Il est situé au rez-de-chaussée du mémorial érigé à la mémoire des résistants exécutés sur les lieux mêmes par les autorités coloniales françaises entre 1941 et 1954.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 9 avril 2025
Mise à jour 10 avril 2025 : Des centaines manifestants sont descendus dans les rues de Tunis ce 9 avril pour défendre les droits et les libertés face à la répression des opposants politiques. Ils ont notamment demandé la libération d’une des principales cheffe de l’opposition, Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre.
Deux timbres-poste tunisiens émis en 1988 pour le 50e anniversaire de la Journée des martyrs
30 septembre : la Chine honore ses martyrs en renouvelant ses héros
Ce jour férié de création récente (2014), participe à l’exaltation du nationalisme chinois qui a très amplement remplacé l’idéal communiste. En cette période de tension géopolitique régionale, il convient pour les dirigeants chinois de mobiliser le peuple. Cette célébration semble aujourd’hui plus importante pour le régime que les 75 ans de la victoire de Mao qui seront fêtés demain.
À Pékin, en cette veille de fête nationale, une cérémonie grandiose est organisée place Tiananmen, autour du Monument aux héros du peuple, en présence du président Xi Jinping, accompagné des dirigeants du Parti et de l'État. Cette célébration est de création récente, elle participe à l’exaltation du nationalisme qui a très amplement remplacé l’idéal communiste. Xi Jinping a déclaré qu'« une nation prometteuse ne peut pas aller de l'avant sans héros » et que « ce n'est qu'en respectant les héros que d'autres héros émergeront ». En cette période de tension géopolitique régionale, il convient de mobiliser le peuple. Cette célébration semble aujourd’hui plus importante pour le régime que les 75 ans de la victoire de Mao qui seront fêtés demain.
Avant 2014, on se contentait d’un dépôt de la corbeille de fleurs au pied du monument, le 1er octobre pendant les festivités liées à l’anniversaire de la prise du pouvoir des communistes en Chine. Depuis une décennie, les Chinois qui sont morts pour la patrie, principalement au XXe siècle, soit quelque 20 millions de martyrs, mais aussi au cours des siècles antérieurs, ont droit à un jour férié spécifique : la Journée des martyrs (烈士纪念日), chaque 30 septembre. Les provinces et les villes de chine sont censées organiser à leur échelle de pareilles cérémonies.
On s’éloigne aujourd’hui de la célébration des héros rebelles communistes fondateurs du régime et on élargit la focale à d’autres époques, ainsi qu’aux Chinois morts à l’étranger. Ceux, par exemple qui sont morts pendant les bombardements de l'OTAN sur la Serbie menés par les États-Unis en 1999. Les médias font aussi émerger des figures anciennes offertes à la vénération tel Qu Yuan, un poète et ministre de l'ancien État de Chu qui fut banni pour avoir prôné la résistance contre l'État rival de Qin et qui se noya en apprenant la prise de la capitale de Chu par ce dernier État en 278 avant J.-C.
Depuis l’épisode du covid, beaucoup de célébrations se font désormais en ligne, ce qui simplifie la gestion des mémoriaux, évite le risque de politisation associé aux commémorations publiques et facilite ainsi le contrôle du parti et de l’État. Un site mémorial répertorie quelque deux millions de Chinois à honorer quitte à en réhabilité discrètement quelques uns comme le médecin Li Wenliang (李文亮), le lanceur d’alerte de Wuhan qui a alerté ses collègues de l'apparition d'un nouveau coronavirus en décembre 2019, mort à 34 ans dans des circonstances mal établies. Bien qu’il ait été, à l’époque, condamné par les autorités pour « trouble à l'ordre public », il dispose de son propre mémorial virtuel sur ce site.
La cérémonie commence à 10 heures du matin place Tiananmen. La fanfare militaire joue l'hymne national « La Marche des volontaires », repris par l’assistance. Puis après un moment de silence, un groupe d'enfants tenant des fleurs dans leurs mains chantent Nous sommes les successeurs du communisme et saluent le monument…
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 30 septembre 2024
La fanfare de l'Armée populaire de libération (APL) joue le clairon du Jour des Martyrs devant le Monument aux héros du peuple.
6 mai : le Liban commémore ses martyrs d’un autre temps
La fête des martyrs du Liban commémore la pendaison, à Beyrouth, de six nationalistes libanais, le 6 mai 1916 sur les ordres du pouvoir ottoman. La date a permis ensuite une union sacrée de tous les Libanais contre les Français. Une concorde qui n’a duré q’un temps…
Chaque 6 mai, sur la place des Martyrs (ساحة الشهداء), la place emblématique du centre de Beyrouth, des représentants des autorités viennent déposer des couronnes de fleurs au pied des statues occupant le centre de cet espace témoin des tragédies vécues par le Liban. Pendant la guerre civile, la place était traversée par une ligne de démarcation entre deux camps ennemis et le groupe de statues symbolisant les martyrs de l’indépendance a été maintes fois mitraillé. Car ces martyrs ne sont pas ceux de la guerre civile qui a fait plus de 200 000 morts entre 1975 et 1990, ni ceux de Sabra et Chatila, en 1982, ou de Cana, en 1996, ni bien sûr les victimes de l’explosion du port, en 2020, et de l’incurie du régime.
En vérité, la fête des martyrs (عيد الشهداء) commémore la pendaison de six nationalistes libanais sur la place des Canons (l’ancien nom de la place des Martyrs), le 6 mai 1916 sous les ordres de Jamal Pacha, qui représentait à Beyrouth le pouvoir ottoman. L’insurrection avait été encouragée par les Français dans le but d’affaiblir l’Empire ottoman, allié de l’Allemagne pendant la Grande Guerre. Mais elle avait pour origine la famine qui provoquait des dizaines de milliers de mort au Liban, en raison du blocus maritime mis en place par les Français et les Britanniques, aggravé par les réquisitions de denrées alimentaires opérées par les Ottomans ainsi qu’une invasion de sauterelles. Un tiers de la population y perdit la vie, la mémoire de cette tragédie a été longtemps occultée au profit de la glorification des héros de la lutte pour l’indépendance que, pourtant, le sacrifice des martyrs de 1916 n’a pas permis d’obtenir.
Car le Liban, tel qu’il a été voulu par la France, est demeuré sous statut d’occupation française jusqu’en 1943. Et la commémoration du 6 mai, qui ne fut acceptée par la puissance mandataire qu’en 1937, a été une journée pour réclamer une véritable indépendance. D’abord boudée par le camp chrétien, la fête du 6 mai a peu à peu rassemblé toutes les obédiences libanaises, les communistes y compris. Le 6 mai 1944, le président maronite Béchara el-Khoury, le président du Conseil sunnite Riad el-Solh, les chiites, les druzes, les Arméniens, les najjadah et les phalanges… tout le monde participait à la première commémoration du Liban indépendant. Cette concorde en mémoire des luttes pour l’indépendance, ne durera qu’un temps.
Aujourd’hui, toutefois, l’attention est avant tout portée sur les « martyrs » des bombardements israéliens au sud du Liban : hier encore, la mort d’un couple et de ses deux enfants, dans le village de Mays al-Jabal. Même si les Libanais ne font pas tous bloc derrière le Hezbollah, l’émotion est forte dans tout le pays. En près de sept mois de violences transfrontalières, au moins 390 personnes, parmi lesquelles 255 combattants du Hezbollah et plus de 70 civils, ont été tuées au Liban.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 6 mai 2024
18 janvier : la Journée des martyrs en Centrafrique
Chaque année, en Centrafrique on se souvient des dizaines d’écoliers tombés sous les balles de la police de l’empereur Bokassa Ier alors qu’ils protestaient contre le prix des uniformes qu’on leur imposait. C’était il y a 45 ans, ces dernières années le pays a été en proie à des violences d’une tout autre ampleur.
Alors que le pays est en proie à une vague de violence depuis plusie mois, va-t-on, comme chaque année, se souvenir des dizaines d’écoliers tombés sous les balles de la police de l’empereur Bokassa Ier alors qu’ils protestaient contre le prix des uniformes qu’on leur imposait. L’empereur s’était même rendu en prison pour bastonner personnellement ceux qui avaient échappés aux tirs. On était le 18 janvier 1979. Une Journée des martyrs a été instituée pour perpétuer leur souvenir.
Comme d’autres dirigeants africains, ce sinistre empereur était une création des autorités françaises. L’affaire, entre autre, a coûté sa réélection au président Giscard d’Estaing.
Cette journée souvenir n’a pas empêché, en 2010, le président Bozizé de réhabiliter l’empereur et de le réhabiliter dans ces droits. François Bozizéa été renversé en 2013. Depuis, le pays a sombré dans la guerre civile. La majorité du territoire est aux mains de dizaines de milices armées qui provoquent des affrontements et commettent des massacres, malgré la présence militaire française et onusienne. Les autorités de manquent pas d’organiser chaque 18 janvier des cérémonies à l’occasion de cette Journée des martyrs. Ceux-ci se sont multipliés, victimes des différentes milices, depuis quelques années.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 17 janvier 2024