L’Almanach international

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1916, Liban, lutte pour l'indépendance, 6 mai, martyrs Bruno Teissier 1916, Liban, lutte pour l'indépendance, 6 mai, martyrs Bruno Teissier

6 mai : le Liban commémore ses martyrs d’un autre temps

La fête des martyrs du Liban commémore la pendaison, à Beyrouth, de six nationalistes libanais, le 6 mai 1916 sur les ordres du pouvoir ottoman. La date a permis ensuite une union sacrée de tous les Libanais contre les Français. Une concorde qui n’a duré q’un temps…

 

Chaque 6 mai, sur la place des Martyrs (ساحة الشهداء), la place emblématique du centre de Beyrouth, des représentants des autorités viennent déposer des couronnes de fleurs au pied des statues occupant le centre de cet espace témoin des tragédies vécues par le Liban. Pendant la guerre civile, la place était traversée par une ligne de démarcation entre deux camps ennemis et le groupe de statues symbolisant les martyrs de l’indépendance a été maintes fois mitraillé. Car ces martyrs ne sont pas ceux de la guerre civile qui a fait plus de 200 000 morts entre 1975 et 1990, ni ceux de Sabra et Chatila, en 1982, ou de Cana, en 1996, ni bien sûr les victimes de l’explosion du port, en 2020, et de l’incurie du régime.

En vérité, la fête des martyrs (عيد الشهداء) commémore la pendaison de six nationalistes libanais sur la place des Canons (l’ancien nom de la place des Martyrs), le 6 mai 1916 sous les ordres de Jamal Pacha, qui représentait à Beyrouth le pouvoir ottoman. L’insurrection avait été encouragée par les Français dans le but d’affaiblir l’Empire ottoman, allié de l’Allemagne pendant la Grande Guerre. Mais elle avait pour origine la famine qui provoquait des dizaines de milliers de mort au Liban, en raison du blocus maritime mis en place par les Français et les Britanniques, aggravé par les réquisitions de denrées alimentaires opérées par les Ottomans ainsi qu’une invasion de sauterelles. Un tiers de la population y perdit la vie, la mémoire de cette tragédie a été longtemps occultée au profit de la glorification des héros de la lutte pour l’indépendance que, pourtant, le sacrifice des martyrs de 1916 n’a pas permis d’obtenir.

Car le Liban, tel qu’il a été voulu par la France, est demeuré sous statut d’occupation française jusqu’en 1943. Et la commémoration du 6 mai, qui ne fut acceptée par la puissance mandataire qu’en 1937, a été une journée pour réclamer une véritable indépendance. D’abord boudée par le camp chrétien, la fête du 6 mai a peu à peu rassemblé toutes les obédiences libanaises, les communistes y compris. Le 6 mai 1944, le président maronite Béchara el-Khoury, le président du Conseil sunnite Riad el-Solh, les chiites, les druzes, les Arméniens, les najjadah et les phalanges…  tout le monde participait à la première commémoration du Liban indépendant. Cette concorde en mémoire des luttes pour l’indépendance, ne durera qu’un temps.

Aujourd’hui, toutefois, l’attention est avant tout portée sur les « martyrs » des bombardements israéliens au sud du Liban : hier encore, la mort d’un couple et de ses deux enfants, dans le village de Mays al-Jabal. Même si les Libanais ne font pas tous bloc derrière le Hezbollah, l’émotion est forte dans tout le pays. En près de sept mois de violences transfrontalières, au moins 390 personnes, parmi lesquelles 255 combattants du Hezbollah et plus de 70 civils, ont été tuées au Liban.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 6 mai 2024

 
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2020, Liban, catastrophe, 4 août Bruno Teissier 2020, Liban, catastrophe, 4 août Bruno Teissier

4 août : anniversaire de l'explosion de Beyrouth, symbole d'un régime totalement failli

L' anniversaire de l'explosion de Beyrouth en 2020 est un jour de deuil national au Liban. Ce jour férié du 4 août rend hommage aux victimes de la catastrophe qui a tué plus de 218 personnes et des milliers de blessés. Trois ans après les faits, l’enquête sur les responsabilités de la catastrophe stagne sans aucun progrès en vue. L’État libanais est en faillite totale, c’est ce que rappelle cette journée de commémoration du 4 août.

 

L' anniversaire de l'explosion de Beyrouth en 2020 est un jour de deuil national au Liban. Ce jour férié au Liban du 4 août rend hommage aux victimes de la catastrophe qui a tué plus de 218 personnes, en a blessé plus de 7 000 (dont 150 handicapés à vie) et a laissé environ 300 000 personnes sans abri.

À l’appel du collectif des familles de victimes qui réclame justice depuis trois ans, une marche se dirige jusqu’au port où une minutes de silence est observée à 18h07, l’heure exacte de l’explosion.

L'explosion du 4 août 2020 avait été provoquée par le stockage sans précaution de centaines de tonnes de nitrate d'ammonium dans un entrepôt au port. Une très grande partie de la population libanaise impute la catastrophe à la corruption et la négligence de la classe dirigeante, accusée également par les familles de victimes et des ONG de torpiller l'enquête pour éviter des inculpations.

C’est en 2021, pour l’anniversaire de l’explosion que le gouvernement a instauré ce jour férié : les bureaux du gouvernement, les écoles, les banques, etc. sont fermés pour la journée. Mais hormis ce travail de mémoire, rien n’a été fait pour identifier les responsabilités et réformer un système totalement à bout de souffle. Les autorités libanaises ont entravé à maintes reprises le cours de l’enquête sur l’explosion en évitant aux responsables politiques et fonctionnaires mis en cause dans cette catastrophe d’être interrogés, poursuivis et arrêtés. Le juge Tarek Bitar avait dû interrompre toute enquête en décembre 2021 du fait d'une quarantaine de poursuites lancées contre lui par des responsables politiques, notamment ceux qu'il souhaitait interroger. Le juge indépendant n'a pas d'affiliation politique connue et s'est mis à dos la plus grande partie de la classe politique, particulièrement le puissant Hezbollah pro-iranien qui avait exigé son remplacement. À la surprise générale, en janvier 2023, le juge Tarek Bitar a rouvert l’enquête en inculpant le procureur général. Cette décision, inédite dans l'histoire du Liban, a été rejetée par le parquet… Trois ans après les faits, l’enquête stagne sans aucun progrès en vue. À nouveau, des recours ont été déposés contre ce juge indépendant par des politiciens inculpés dans l’affaire, dans le but de le faire le faire remplacer… L’État libanais est totalement défaillant, c’est au contraire, son total remplacement qui pourrait permettre de sauver le pays de la faillite totale, mais le système politique libanais basé sur le communautarisme à outrance, bloque toute évolution. Telle est la leçon de cette journée de commémoration du 4 août.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde

 
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1943, Liban, 22 novembre, indépendance Bruno Teissier 1943, Liban, 22 novembre, indépendance Bruno Teissier

22 novembre : le Liban en ruine fête une indépendance qu'il n'a jamais eu

C’est un pays en pleine déliquescence qui célèbre aujourd’hui sa fête nationale, le Liban n’a plus de président, plus de gouvernement, quasiment plus d’État. Ses banques ont ruiné le pays avec la complicité des 5 ou 6 oligarques qui contrôlent et dépouillent le pays… Plus que jamais, ce Jour de l’indépendance a quelque chose de surréaliste et de désespérant.

 

Cette année, le défilé militaire annuel célébrant le Jour de l'indépendance du Liban a été annulé, le cœur n’y est pas, le pays ruiné, n’a même plus de président…

En 1943, les Libanais s’étaient soulevés pour défendre leurs élites emprisonnées par les Français… Ces mêmes élites ont totalement ruiné pays et aujourd’hui, la population anéantie par des décennies d’incurie et de corruption, n’est même plus en état de se soulever.

Ce matin, comme tous les 22 novembre pour le Jour de l’indépendance, une cérémonie a lieu dans une forteresse perdue sur les pentes du mont Hermon, la Rachaya. C’est là qu’ont été emprisonnés quelques jours, les plus hauts dignitaires de la République libanaise : le président El Khoury, le chef du gouvernement, plusieurs ministres et députés. Ils ont été arrêtés à 4 heures du matin, le 9 novembre 1943, sur ordre du représentant de la France. Tous avaient été élus ou nommés dans la foulée des législatives de septembre qui mettaient en place une nouvelle chambre. Leur crime, avoir voulu faire voter des amendements à la constitution effaçant toute référence au mandat français, instauré en 1920. En 1941, les forces franco-anglaises chassant les représentants de Vichy, avaient pourtant promis l’indépendance, le représentant de la France Libre n’entendait pas se voir ainsi forcer la main d’accepter un Liban libre.

À l’annonce de l’emprisonnement de l’élite de la nation, des manifestations ont éclaté un peu partout. Un gouvernement provisoire est formé, à l’image de celui qui lutte pour libérer la France de l’occupation allemande. Le 12, les femmes manifestent en masse. Le 13, c’est le tour de lycéens, sur lesquels l’armée française ouvre le feu faisant de nombreux blessés… Les Français cèdent finalement le 22 novembre, en libérant les captifs. 

C’est cette date qui a été choisie comme fête nationale du Liban. L’indépendance formelle ne sera toutefois acquise que le 1er janvier 1944 et l’armée française ne quittera le Liban qu’en 1946.

Autrefois, le 22 novembre était l’occasion d’un discours télévisé du président de la république. Aujourd’hui, le pays n’a plus ni président ni gouvernement de plein exercice. Le mandat du président Aoun s’est terminé le 31 octobre. Jeudi dernier, le Parlement a échoué pour la sixième fois à élire un nouveau président, faute d'accord entre les différents clans mafieux qui se partagent le pays, aucun successeur n’a pu être désigné. Quant au gouvernement sortant, dirigé par Nagib Mikati, il est en effet chargé d’expédier affaires courantes, sans mandat ni légitimité politique depuis le mois de mai 2022.

Triste fête nationale pour un pays qui n’a jamais connu de souveraineté. Le 22 novembre est connu comme le Jour de l’indépendance. Mais en réalité, ce pays dirigé par une poignée d’oligarques n’est que le théâtre de rivalités régionales. Certains clans libanais s’appuyent sur l’Arabie saoudite, d’autres sur l’Iran et la Syrie… comme, jadis les uns s’appuyaient sur la France, d’autres sur les Anglais ou les Turcs… le pays n’a, en réalité, jamais connu de souveraineté. Aujourd’hui, il n’a plus d’État, sa monnaie ne vaut plus rien. Les banques libanaises, dans les mains des oligarques, ont détourné les économies de tous les Libanais. Certains par désespoir vont braquer leur propre banque dans l’espoir de retirer un peu d’argent de leur propre compte… la famine et le choléra ont réapparu.

Dans l’urgence, le Programme alimentaire mondial de l'ONU (PAM) vient d’accorder 5,4 milliards de dollars d'aide au Liban pour venir en aide à la population locale et aux deux millions de réfugiés syriens. Dans la population, on rêve d’une seconde indépendance, la vraie cette fois. Mais, il faudrait balayer tout le vieux système politique qui n’a plus rien de démocratique…

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 21 novembre 2022

 

Le 22 novembre 2019, les Libanais se soulevaient contre l’incurie de leur élites. Celles-ci sont aujourd’hui démissionnaires et la population n’a plus la même énergie qu’il ya trois ans.

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