29 décembre : le culte controversé de Thomas Becket
Peu de saints de l’Église catholique ont eu une destinée posthume aussi contrastée que Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry au XIIe siècle. En 2007, répondant à un sondage, les Anglais le classaient parmi les pires Britanniques de tous les temps, aux côtés de Jack l’Éventreur. Que lui est-il arrivé alors que peu après son assassinat, son tombeau avait fait l’objet d’un pèlerinage qui attirait des dizaines de milliers de croyants venus de toute l’Europe.
Thomas Becket avait été proche du roi Henri II jusqu’à ce qu’il soit nommé, avec l’appui du roi, à la tête de l’Église d’Angleterre. Fort de son titre, de son prestige et de son pouvoir, Becket réclama que des privilèges soient accordés à l’Église, notamment que les ecclésiastiques ne soient pas jugés par des tribunaux royaux. Non seulement le roi n’a pas cédé mais a cherché à faire signer Becket une charte de soumission au pouvoir royal. L’affaire a duré des années, l’archevêque s’est un temps réfugié en France, a pris conseil auprès du pape. Et s’est obstiné dans son refus de signer. Attitude intolérable pour un monarque habitué au pouvoir absolu. Un jour, quatre chevaliers de la cour d’Henri eurent l’idée de se rendre à Cantorbéry pour faire pression sur le prélat rebelle. La discussion s’est mal terminée : Thomas Becket n’a pas cherché à se défendre, il mourut sur l’autel de la cathédrale, le crâne tranché. C’était le 29 décembre 1170.
La nouvelle de la mort de Becket se répandit comme une traînée de poudre à travers l’Europe et provoqua l’indignation. Henri II refusa d'abord de punir les coupables et fut largement impliqué dans le meurtre.
Des guérisons miraculeuses furent très vite attribuées à la dépouille de Becket et des milliers pèlerins en quête de guérison se sont mis à affluer à Canterbury. En 1173, trois ans à peine après sa mort, le Vatican canonisait l’archevêque : Saint Thomas Becket est célébré par les catholiques chaque 29 décembre, jour anniversaire de sa mort en martyr. Moins de cinq ans après sa mort, Salamanque, en Espagne, inaugurait une église en son honneur, l’Iglesia de Santo Tomás Cantuariense. Le culte de Thomas Becket se propagea rapidement en Normandie, si bien qu'on trouve aujourd’hui plusieurs décors et objets en lien avec ce personnage. En France, les églises de Mont-Saint-Aignan, Gravelines, Avrieux, Bénodet, Pleuven… lui sont dédiées. À la fin du Moyen Âge son culte était le plus populaire d’Angleterre. La cathédrale où est conservée sa dépouille devint un des lieux de pèlerinages les plus importants d’Occident, comme le rapporte l’ouvrage de Geoffrey Chaucer, Les Contes de Canterbury, une des premières grandes œuvres de la littérature anglaise, qui raconte des histoires de pèlerins venus lui rendre hommage.
C’est la rupture de l’Angleterre avec le Pape qui a ruiné l’avenir du saint, au moins dans son propre pays. La dépouille du saint fut brûlée, son tombeau détruit, si bien que le pèlerinage cessa sur injonction du roi Henri VIII après que le Pape lui refusa son divorce. Cette rupture déboucha sur la création de l’église Anglicane, toujours très largement dominante en Angleterre et le roi est le chef. Vénéré par les catholiques, Thomas Becket était désormais présenté comme un fauteur de troubles et un traître à son pays par son obstination à se refuser de se soumettre au pouvoir royal. Il est désormais décrit comme un personnage rigide, d’une ambition démesurée et qui ne pensait qu’à sa carrière au sein de l’Église. À l’inverse on présentait Henri II comme un roi soucieux que tous ses sujets soient sur un pied d’égalité, notamment vis-à-vis de la justice.
La religion doit-elle se placer au-dessus des lois ? Peut-on tolérer que le chef de l’Église prenne ses ordres auprès d’une puissance étrangère, en l’occurence le pape de Rome ? Tels étaient des débats qui agitaient la Chrétienté du vivant même de Thomas Becket. Localement, le sujet a été tranché en même temps que la tête de l’archevêque. Mais, la controverse a duré des siècles et n’est pas totalement éteinte.
À l’inverse, certains ont voulu voir en Becket un héros de la résistance religieuse à un pouvoir répressif. Le saint est très populaire en Pologne, en Irlande, en Islande… partout où l’Église, défenseur du peuple, a subi un pouvoir oppressif et extérieur au pays.
D’autres encore ont voulu y voir la réussite d’un simple clerc, fils de marchand londonien d’origine normande, un homme du peuple qui avait fait des études à Paris et à Bologne, face à la morgue l’aristocratie anglaise.
Son souvenir est toujours vivant en Angleterre où des églises lui sont dédiées, notamment à Oxford, Bristol, Portsmouth… et bien sûr, la cathédrale Saint-Thomas-de-Canterbury, le sanctuaire le plus prestigieux du pays. Thomas Becket est un saint vénéré par l’Église anglicane. En 2020, le Vatican a prêté à au Royaume-Uni des reliques du saint pour fêter le 850e anniversaire de sa mort. Il s’agit d’une tunique, conservée dans une chasse, qui aurait appartenu au martyr anglais, ordinairement conservée dans la basilique Sainte-Marie-Majeure à Rome.
Il existe en France, une Fraternité Saint-Thomas Becket qui a la particularité d’être tradionnaliste (position sociale ultra conservatrice, messe en latin ou en français) mais tout en reconnaissant l’autorité du Pape. Ce qui est la moindre des choses du fait du nom qu’elle s’est donnée. Elle a été créée en 1988 à la suite de la main tendue du pape Jean Paul II aux branches traditionalistes en rupture avec le Vatican. À cette occasion, certains ont rompu avec Monseigneur Lefèvre pour se rallier au Pape.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 28 décembre 2025
Miniature extraite d'un psautier anglais du XIIIe siècle (Musée de Baltimore)