L’Almanach international

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1984, Nouvelle-Calédonie, assassinat, 5 décembre Bruno Teissier 1984, Nouvelle-Calédonie, assassinat, 5 décembre Bruno Teissier

5 décembre : les Kanaks commémorent l’assassinat des dix de Tiendanite

Alors qu’en métropole, on rend hommage aux victimes civiles et militaires des guerres coloniales en Afrique du Nord, en Nouvelle-Calédonie on se souvient des dix Kanaks victimes d’une embuscade tendue par des Caldoches (Néocalédoniens d’origine européenne), le 5 décembre 1984. Le Caillou vivait alors une situation de quasi guerre civile dont la mémoire n’est pas totalement digérée.

 

Alors qu’en métropole, on rend hommage aux victimes civiles et militaires des guerres coloniales en Afrique du Nord, en Nouvelle-Calédonie on se souvient des dix Kanaks victimes d’une embuscade tendue par des Caldoches (Néocalédoniens d’origine européenne), le 5 décembre 1984.

Chaque 5 décembre, se tient à Tiendanite, une cérémonie commémorant les dix militants kanaks assassinés. On se retrouve entre amis, voisins, cousins. On accueille des collégiens et lycéens pour leur transmettre la mémoire des luttes indépendantistes. Des membres du Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie sont là. Mais les officiels français ne sont pas les bienvenus. L’an dernier les fils de Jean-Marie Tjibaou, le chef du FLNKS de l’époque, neveux et cousins de plusieurs victimes, ont refusé d’accueillir le ministre Darmanin sur le site où se trouve aujourd’hui le mémorial dédié aux victimes.

La Nouvelle-Calédonie vivait à l’époque une véritable guerre civile, les indépendantistes manifestaient, coupaient les routes… Alors qu’ils revenaient d’une réunion politique à la mairie de Hienghène, des militants du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) circulant à bord de deux camionnettes. À Wan’Yaat, ils sont tombés dans une embuscade que des Caldoches avaient minutieusement préparée pour faire le plus de victimes possibles. Celle-ci fut d’une extrême violence, les hommes poursuivis, les chiens lâchés, les blessés achevés et les corps mutilés… On relèvera 10 morts, dont deux frères de J.M. Tjibaou ainsi plusieurs de ses neveux et cousins, ainsi que 5 blessés graves. Les terroristes sont de petits propriétaires de la vallée, descendants de colons, craignant d’être chassés de leurs exploitations en cas d’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Cinq jours plus tôt Jean-Marie Tjibaou avait hissé pour la première fois le drapeau bleu rouge et vert de la Kanaky (le nom du pays adopté par les autochtones).

Les assassins se sont rendus et reconnaîtront les faits. Mais, ils ne seront jamais condamnés. La justice française va évoquer un motif de « légitime défense préventive » qui  n’existe pas en droit français, pour prononcer leur acquittement. Les sept auteurs, membres des familles Mitride et Lapetite ont été relaxés par la cour d'assises de Nouméa le 29 octobre 1987. Le jury était composé exclusivement d'Européens et le juge d'instruction, un ancien militaire, avait déjà annoncé un non-lieu… Cela fait 39 ans que les Kanaks se se heurtent au silence de l’État français et des familles des coupables, avec le sentiment profond que justice n’a pas été faite. 

Après ce drame, Jean-Marie Tjibaou réagira en déclarant : « La chasse au Kanak est ouverte ». La guerre civile ne fera que s’aggraver. En représailles, les indépendantistes vont multiplier les incendies de maisons caldoches situées en brousse. Plusieurs dizaines de morts seront à déplorer dans les deux camps… En 1988, des Kanaks prendront en otage cinq gendarmes dans une grotte de l’île d’Ouvéa. Le 5 mai, sur ordre d’un ministre du gouvernement Chirac, un commando ouvre le feu, entraînant la mort de dix-neuf Kanaks et deux gendarmes. C’est ce nouveau drame qui fera enfin prendre conscience à Paris de la gravité de la situation.

Aujourd’hui, la situation n’est plus la même mais reste tendue. La question de l’indépendance n’est toujours pas tranchée aux yeux des Kanaks qui ont boycotté le dernier référendum.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 4 décembre 2023

 

détail du drapeau kanak

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24 septembre : la double face d’une fête nationale en Nouvelle Calédonie

C’est l’anniversaire du rattachement de la Nouvelle-Calédonie à la France, le 24 septembre 1853 et la Fête de la citoyenneté. Ce jour de fête pour une partie de la population est aussi une journée de grandes tensions entre les loyalistes (à l’égard de la France) et les indépendantistes, très divisés mais aussi très mobilisés, en particulier à l’occasion du 24-Septembre, considéré comme un jour de deuil.

 

Le 24 septembre est un jour férié en Nouvelle-Calédonie. C’est le 170e anniversaire du rattachement de la Nouvelle-Calédonie à la France. C'est, en effet, le 24 septembre 1853 que le contre-amiral Febvrier Despointes a pris possession de la Nouvelle-Calédonie au nom de l'Empereur Napoléon III. 

De fait, le 24 septembre est considéré comme une journée de deuil national par les Kanaks, population autochtone de la Nouvelle Calédonie. Pour eux, cette date ne symbolise que le jour de la prise de possession de leur pays par la France et le début du colonialisme en Kanaky.

Cette fête a été instituée en 1953, année du centenaire. En 2004, dans la foulée des Accords de Nouméa, elle est devenue la Fête de la citoyenneté à l’initiative de Déwé Gorodey, alors membre du gouvernement. Toutes les communautés sont invitées à partager leurs us et coutumes et leur vision de l’avenir. C’est la 19e édition de cette version nouvelle de la fête nationale de la Nouvelle Calédonie. Pour la seconde fois, un festival intitulé Caledonia marque ce moment de l'année. Il se tient à Nouméa, au centre Tjibaou, du 22 au 24 septembre avec pour thématique : "Partageons et affirmons nos cultures", et un accent particulier donné cette année à la jeunesse et la création.

À Moselle, sur la place du Mwa Kââ, le comité, créé à l'occasion du 150e anniversaire de la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France, appelle la population, "toutes communautés confondues", à se réunir pour commémorer cette date du 24 septembre, considérée comme un jour de deuil. Le Mwa Kââ, ou "maison de l'humanité", y est symbolisé par un poteau sculpté de douze mètres. 

Après plus de trente ans de partage du pouvoir dans la collégialité, les loyalistes restent persuadés que dans l’État de « Kanaky-Nouvelle-Calédonie », les discriminations ethniques se manifesteraient à leur détriment et que seule la France a la capacité de les protéger. De leur côté, les Kanaks, dans leur grande majorité, dénoncent une situation coloniale, l’une des dernières à ne pas avoir été réglée selon l’ONU. Ce 24-Septembre est célèbré, cette année, dans un climat de grande crispation entre les deux camps, surtout depuis le boycott du 3e référendum d’autodétermination (prévu dans les accords de 1988) dont l’organisation était contestée par les indépendantistes. De fait, l’avenir institutionnel de l’archipel demeure très flou. L’Union calédonienne (UC), principale composante d’un Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a rejeté le projet Darmanin et rompu toute relation avec le gouvernement, tout en appelant à une mobilisation politique pour ce 24-Septembre… À ces tensions locales s’ajoutent  les tensions géopolitiques récurrentes dans la zone Asie-Pacifique.

La France considère, en effet, la Nouvelle-Calédonie comme un territoire stratégique essentiel dans la région Asie-Pacifique pour contrer les ambitions chinoise. Des exercices militaires sont d’allumeurs en cours. Du 10 au 30 septembre l'armée de Terre française et son homologue japonaise s'entraînent conjointement en Nouvelle-Calédonie dans le cadre de l'exercice Brunet-Takamori 23.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 33 septembre 2023

 
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