5 novembre :  les derniers martyrs du Risorgimento

 

Il y a 70 ans, les 5 et 6 novembre 1953, six personnes décédaient à Trieste sous les balles de l’armée britannique lors de manifestations en faveur du rattachement de cette ville à l’Italie.

À l’issue de la Seconde guerre mondiale, l’Italie qui s’était alliée à l’Allemagne nazie s’est vue amputée de plusieurs territoires en faveur de la Yougoslavie, pays dont les partisans avaient lutté contre le nazisme. Le sort d’une région restait en discussion. Le Traité de Paris, en 1947, avait créé un Territoire libre de Trieste (FTL), un territoire indépendant sous l’égide de l’ONU, destiné à faire tampon entre l’Italie, encore faible et isolée, et la Yougoslavie, dirigée par Tito prêt à envahir l’ensemble du territoire en balance. Jusqu’en 1918, Trieste a été une grande cité cosmopolite austro-hongroise dont la population est principalement italienne et slave. Les deux États voisins étaient en mesure de revendiquer ce port qui fut le débouché maritime de l’Autriche. Ce sont les troupes Tito qui ont chassé l’armée allemande de la ville en 1945. Les Triestin ont un mauvais souvenir de ces combats de rue et des quarantes jours d’occupation yougoslave sous forme de revanche à deux décennies de pouvoir fasciste italien qui persécuta les Slaves.

Le 3 novembre 1953, à Trieste, à l'occasion de l'anniversaire de l'annexion de la ville au Royaume d'Italie en 1918, le maire Gianni Bartoli a contrevenu à l'interdiction d’arborer le drapeau tricolore italien sur l'hôtel de ville. Des officiers anglais, au nom de l’ONU, sont immédiatement intervenus pour l'enlever et le réquisitionner. Le lendemain, des manifestations improvisées ont revendiqué le caractère italien de la ville. Elles ont été aussitôt violemment réprimées par la police municipale, dirigée par les Anglais. Le 5 novembre, les étudiants proclament la grève générale et manifestent. Une voiture de police reçoit des jets de pierres, la situation dégénère dans l’église San Antonio. Un officier anglais ouvre le feu et la police suit son exemple : Piero Addobbati et Antonio Zavadil meurent, tandis que des dizaines d'autres garçons sont blessés. Les traces de balles resteront visibles sur deux côtés de l'église jusqu'à sa rénovation en 2012.

Le 6 novembre, la ville est traversée par une foule immense, déterminée à s'attaquer à tous les symboles de l'occupation anglaise : des voitures et des motos de police sont incendiées, ainsi que le siège du « Front pour l'indépendance du territoire libre de Trieste ». Les manifestants arrivent surla place de l’Unité italienne et tentent d'attaquer le bâtiment de la Préfecture, siège de la police civile : les policiers réagissent en tirant à nouveau sur la foule, blessant des dizaines de personnes et tuant Francesco Paglia, Leonardo Manzi, Saverio Montano et Erminio Bassa. 

Ces événements vont obliger la diplomatie à trouver une solution : onze mois plus tard, en 1954, le mémorandum de Londres Territoire libre de Trieste est divisé entre une zone A (qui comprend Trieste), attribuée à l'administration civile italienne, et la zone B, attribuée à l'administration civile yougoslave. Trieste revenant à l’Italie (le 26 octobre 1954), cet épisode est perçu comme le dernier d’un Risorgimento qui a occupé l’Italie pendant plus d’un siècle. La mémoire des « Ragazzi del 53 » (les garçons de 1953) est célébrée à chaque anniversaire comme celle des derniers martyrs de l’unité italienne. L’épisode est d’autant plus douloureux que l’Italie a perdu en 1945 des territoires acquis dans les années 1920. La zone B est aujourd’hui partagée entre la Slovénie et la Croatie. Cette dernière a également hérité d’autres portions italiennes du littoral adriatique (Rijeka, Zadar…).

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 4 novembre 2023

 

extrait de La Tribuna illustrada, 15 novembre 1953

Affrontements entre pro-italiens et indépendantistes devant le siège du Mouvement autonome julien (MAG), le 5 novembre 1953.

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