3 juin : la journée des martyrs en Ouganda

 

Voilà un jour férié très ambigu, à la fois une cérémonie catholique et une fête civile de l’Ouganda qui participe à la propagande anti-gay de ce pays particulièrement sévère en la matière.

La date fait référence à l’exécution, le 3 juin 1886, de 31 jeunes gens, principalement des pages du roi Mwanga furieux qu’ils se refusent à lui depuis qu’ils ont été convertis par des missionnaires. Ce jour-là, ont été sacrifiés sur un bûcher 13 catholiques, 13 protestants et 5 non chrétiens. Ce roi homosexuel voyait ses sujets lui échapper après être passé dans les mains des missionnaires européens auxquels son prédécesseur avait ouvert les portes du puissant royaume du Buganda (futur Ouganda). Pendant sept mois, il va ordonner une série d’exécutions qui se déroulaient sur le site de Namungongo, à 15 km de Kampala. C’est là que les catholiques ont construit une basilique qui chaque 3 juin, attire plusieurs centaines de milliers de personnes venues de toute l’Afrique orientale. Elle avait même été visitée par le pape Jean Paul II en 1984. Les martyrs avaient été canonisés en 1964 par Paul VI, au cours du concile Vatican II. Le plus jeune avait treize ans, il est aujourd’hui honoré comme saint Kizibo, le patron des jeunesses d’Afrique selon le Vatican. Le pape François est également venu en 2014. À Namungongo existe aussi des sanctuaires anglican et musulman (seul un gros tiers de la population ougandaise est catholique). Parmi les martyrs de l’époque figure aussi quelques musulmans.

Le grand pèlerinage de Namungongo attire chaque 3 juin plus d’un demi-million de personnes qui viennent du Kenya, du Rwanda, de Tanzanie et de tout l'Ouganda pour participer à la fête des martyrs ougandais. Beaucoup d'autres suivent la célébration à la télévision nationale.

La journée demeure un jour férié civil, exploité de manière ambiguë par un pouvoir qui, par ailleurs, réserve une des pires conditions aux homosexuels dans le monde. Les lois qui s’appliquent en Ouganda sont directement héritées de celles de l’Angleterre au XIXe. En mars 2023, une nouvelle loi avait été votée, faisant de l’homosexualité un crime. Devant le tollé international, une nouvelle mouture de la loi a été promulguée le 29 mai 2023, précisant que le « fait d’être homosexuel » n’était pas un crime, mais que seules les relations sexuelles l’étaient. Dans la nouvelle version du texte, les parlementaires ont maintenu, contre une disposition faisant de « l’homosexualité aggravée » un crime capital, ce qui signifie que les récidivistes pourraient être condamnés à mort. En Ouganda, la peine capitale n’est plus appliquée mais n’a jamais été abrogée. Ce qui inquiète particulièrement les organisations de défense des droits des homosexuels, c’est que selon cette nouvelle loi, quiconque « promeut sciemment l’homosexualité » encourt jusqu’à vingt ans de prison.

« Les sources montrent que l’homosexualité est courante au Buganda à la fin du XIXe siècle. La plupart des sources datent la diffusion de l’homosexualité de l’arrivée des Arabes au Buganda. (…) Les rois sur lesquels nous avons suffisamment d’informations (Mwanga, 1884-1897, Mutesa, 1856-1884 et peut-être Suna, c. 1830-1856 et Kamanya, c. 1812-c. 1830) sont bisexuels. (…) Les pages sont généralement des adolescents qui sont envoyés par leurs parents, leurs maîtres ou leurs patrons pour servir le roi. Le parrain espère que le page saura attirer la faveur du roi et en fera bénéficier son entourage. Fils de chefs se mêlent à de jeunes esclaves dans un univers très concurrentiel et violent. Les pages n’ont pas accès aux épouses de leur maître. L’augmentation du nombre d’épouses rend le contrôle de leur fidélité problématique, malgré le recours à une violence extrême. L’homosexualité est encouragée délibérément parmi les pages pour qu’ils soient moins tentés de trahir leur maître. Les pages royaux occupent une place fondamentale dans l’organisation politique du royaume du Buganda. C’est parmi les anciens pages que sont choisis les futurs chefs qui gouverneront le pays. » extrait d’un article de Henri Médard (auteur de Croissance et crises de la royauté du Buganda au XIXe siècle).

La Journée des martyrs (Uganda Martyrs Day) est aussi l’occasion de commémorer le refus de la soumission à un tyran. Et l’Ouganda en a connu d’autres, hormis Mwanga dont le renversement par les Anglais a été le prétexte à la colonisation du royaume du Burganda. On se souvient de Milton Obote et surtout du fantasque et sanguinaire Idi Amin Dada. Lequel avait aussi fait exécuter un archevêque anglican. Quant au président actuel, Yoweri Museveni…

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde

 
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