4 janvier :  le petit peuple Ogoni face aux multinationales

 

Les Ogonis ne forment d’un petit peuple d’un million et demi de personnes tout au plus. Si ce peuple du sud du Nigeria est connu, dans un pays qui en compte des dizaines, c’est qu’ il a réussi à chasser les compagnies pétrolières ravageant son territoire, l’Ogoniland, à peine plus de 1000 km2. Ce fut perçu comme l’une des premières victoires d’un mouvement altermondialiste.

Royal Dutch Shell a commencé à produire du pétrole dans le delta du Niger en 1958. En 1970, les chefs Ogoni ont remis une pétition au gouverneur militaire local pour se plaindre de Shell et de BP qui exploitaient conjointement des puits de pétrole situés sur leur territoire. Selon la pétition, l’entreprise « menaçait sérieusement le bien-être, voire la vie même » des Ogoni. Cette année-là, une éruption majeure s’était produite au champ pétrolifère de Bomu. Cela a duré trois semaines, provoquant une pollution et une indignation généralisées. Protestation sans résultat pendant des années. Les Ogonis seront néanmoins imités par d’autres peuples de la région, notamment les Ikos qui eux aussi se plaignent de Schell.

Entre 1976 et 1991, il y a eu près de 3 000 marées noires totalisant plus de 2,1 millions de barils de pétrole déversé dans le pays Ogoni, ce qui a eu un effet catastrophique sur l'écologie de la région. Au début des années 1990, menés par l’écrivain Ken Saro-Wiwa, les Ogonis ont commencé à chercher des soutiens internationaux. En décembre 1992. Ils ont exigé le paiement de 10 milliards de dollars de compensation dans un délai d'un mois, menaçant de perturber les opérations des compagnies pétrolières si elles ne se conformaient pas. En réponse, le gouvernement du Nigéria a interdit les rassemblements publics. Bravant cette interdiction,  le 4 janvier 1993, 300 000 Ogonis se sont tout de même rassemblés pour manifester. C’est l’anniversaire de cette Journée des Ogonis (Ogoni Day) qui est fêté aujourd’hui.

En effet, après cette énorme manifestation et sa répercussion internationale, Shell a suspendu définitivement ses activités pétrolières en territoire ogoni, pourtant situé dans l'une des trois régions les plus riches en pétrole d'Afrique. Cette perte sèche, à l'époque, de plus de 30 % de la production de brut nigérian provoque une très vive réaction du président du Nigéria, Sani Abache : quelque 3 000 Ogonis vont mourir des suites des violences policières et militaires.

Le 10 novembre 1995, l’écrivain et militant écologiste nigérian Ken Saro-Wiwa et huit compagnons d'infortune ont été exécutés par la junte du président Sani Abacha à l’issue d’un procès inique. Fondateur du Mouvement pour la survie du peuple ogoni (Mosop) au début des années 1990, Ken Saro-Wiwa avait alerté l’opinion mondiale sur les désastres écologiques liés à l’exploitation du pétrole dans le delta du Niger, fédérant autour de lui des dizaines de milliers de personnes notamment dans des communautés ogonis peu habituées jusque-là à manifester pour leurs droits.

Les multinationales pétrolières sont partis, il y a maintenant trois décennies mais les Ogonis subissent toujours les dommages collatéraux de l’exploitation énergétique : une pollution massive des nappes phréatiques, des champs agricoles et des zones de pêches, à laquelle s'ajoute un air vicié par les émanations de gaz. Résultat, en 2024, les conditions de vie sont toujours aussi difficiles dans cette partie du delta du Niger. Une campagne de dépollution a été officiellement relancée par Abuja en 2016, mais il faudra des décennies pour obtenir des résultats tangibles.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 3 janvier 2024

 
Précédent
Précédent

5 janvier : en Serbie, c'est Tucindan, on tue le cochon

Suivant
Suivant

3 janvier : l’anniversaire de l’assassinat de Qassem Soleimani